Responsibility for Justice
2012; Wiley; Volume: 18; Issue: 1 Linguagem: Francês
10.1111/j.1662-6370.2011.02048.x
ISSN1662-6370
Autores Tópico(s)Political Philosophy and Ethics
ResumoResponsibility for Justice Young, Iris M. New-York : Oxford University Press ( 2011 ), 193 p ., ISBN 978-0-19-539238-8 Responsibility for Justice parait cinq ans après la mort de son auteure. Cet excellent ouvrage reste, toutefois, inachevé. En effet, il ne possède pas le style argumentatif systématique que l’on retrouve dans les précédents ouvrages d’Iris Young et les liens logiques entre les différents chapitres demeurent plutôt flous. Cependant, cet ouvrage détient une place de choix dans la bibliographie fournie de Young. En effet, il s’attèle principalement à discuter des conséquences en termes de responsabilité individuelle et/ou collective de l’injustice centrale dans les démocraties libérales contemporaines qu’est l’injustice structurelle. Une injustice déjà débusquée et largement critiquée dans Justice and the Politics of Difference paru en 1990 (même si elle utilisait alors plus volontiers le terme d’oppression) ou encore dans des articles plus récents comme Equality of Whom? Social Groups and Judgments of Injustice (2001) ou encore Structural injustice and the politics of difference (2007). De manière générale, cet ouvrage entend donner des clefs pour penser qui doit lutter et comment lutter contre une injustice produite involontairement par un grand nombre d’individus ou d’organisations dont la culpabilité ne peut être démontrée. En effet, ces derniers agissent selon des règles sociales acceptées et ce n’est qu’en poursuivant leurs buts et intérêts qu’ils vont agir, avoir des comportements, produire des règles engendrant, par leur agrégation, des résultats injustes. Ces résultats vont affecter particulièrement l’existence de groupes d’individus (catégorisés en termes de race, de genre ou encore de classe). Cette injustice doit donc être distinguée, d’une part, d’une action injuste individuelle et, d’autre part, d’une politique répressive étatique (p.52). “Structural injustice, then, exists when social processes put large groups of persons under systematic threat of domination or deprivation of the means to develop and exercise their capacities, at the same time that these processes enable others to dominate or to have a wide range of opportunities for developing and exercising capacities available to them” (p.52). Les individus dans ces positions désavantagées subissent une réduction de leurs opportunités et une plus grande vulnérabilité que les individus, à l’inverse, privilégiés par des positions leur permettant d’obtenir un plus large éventail de ressources mobilisables pour atteindre leurs fins. En d’autres termes, les premiers souffrent notamment d’un déficit de pouvoir qui se transmet dans les capacités d’agir et finalement dans les résultats de ces actions notamment en termes de statut socio-économique. Plus précisément, la question explicite qui guide cet ouvrage selon Young est la suivante: “how shall agents, both individual and organizational, think about our responsibility in relation to structural injustice?” (p.95). Si une injustice peut être établie, alors la responsabilité de quelques-uns pour celle-ci doit être engagée. Pour définir le type de responsabilité qu’elle entend défendre, elle distingue tout d’abord deux modèles. Le premier, the liability model, dépendant d’un raisonnement légal, permet d’assigner une responsabilité individuelle ou plutôt la faute à un coupable (guilt). Bien qu’il puisse être adapté dans d’autres contextes, sa conception de la responsabilité serait inapplicable à la lutte contre les injustices structurelles. En effet, il ignore le pouvoir de certains agents tout en exacerbant celui d’autres, il ne porte pas d’attention à la nature des conditions sous-jacentes (background conditions) à partir desquelles les agents font des choix et il produit des positions plus défensives que coopératives chez ces mêmes agents. Young défend donc une alternative: the social connection model. Il permet de penser une responsabilité partagée (shared responsibility). “The social connection model of responsibility says that individuals bear responsibility for structural injustice because they contribute by their actions to the processes that produce unjust outcomes” (p.105). A la différence du premier modèle, celui-ci impose une responsabilité partielle des acteurs en vertu de leur participation active aux processus qui amènent à cette injustice même si leur culpabilité individuelle ne peut être démontrée directement. Contrairement à Arendt notamment, Young pense que le cadre de l’Etat-nation n’est donc pas forcément le plus apte à rendre compte de la question de la responsabilité. La connexion sociale est donc première tant ontologiquement que moralement par rapport aux institutions politiques (p. 139). Ajoutons encore que ce modèle est tourné vers l’avenir et non le passé, il n’isole pas des coupables et il met sous évaluation les conditions sous-jacentes. Cette responsabilité est essentiellement partagée et ne peut donc être combattue que par une action collective. Une action que Young définit comme politique, tout comme Arendt, à la différence d’une responsabilité morale ou juridique (p. 112). C’est donc par la participation à des processus qui contribuent à créer des injustices structurelles qu’un individu ou une organisation peuvent être désignés comme responsables et donc soumis à une obligation de justice. Sans pour autant que les charges puissent êtres divisées différemment entre les agents ou même mesurées. Ils sont responsables de participer, en fonction de leur positionnement social dans les processus structurels (le pouvoir, le privilège, les intérêts et les capacités collectives constituent les paramètres à prendre en compte), à la transformation de ces injustices par le biais d’une action réformatrice. Young se focalise plus précisément sur la société civile. Elle voit le gouvernement et ses institutions comme des instruments médians pour la coordination des actions de ceux qui portent cette responsabilité partagée. A noter que dans cette action politique les victimes ne sont pas exclues de toute responsabilité car elles ont une compréhension particulière et située des injustices. “In the social connection model, however, those who can properly be argued to be victims of structural injustice also can be called to a responsibility they share with others to engage in actions directed at transforming those structures” (p. 113). En définitive, cette dernière considère qu’une sorte de solidarité lie les individus qui reconnaissent et acceptent leur responsabilité partagée dans la création et la perpétuation de pratiques ou institutions sociales plus justes. Cette solidarité serait donc un idéal vers lequel tendre, une promesse et un engagement (p.121). L’originalité de Young consiste à déplacer le focus des questions de justice des actions ou autres politiques individuelles (comme l’école des égalitaristes de la chance dont Dworkin est l’une des têtes de pont) sur les processus structurels qui amènent à des résultats injustes. Dans ce cadre, l’ensemble des individus composant la “société” sont impliqués et devraient, à des degrés divers, agir collectivement pour produire une compréhension publique et transformer ces structures sociales injustes. Sans le thématiser, une citoyenneté active est réclamée aux individus pour être des agents responsables. En effet, comme le relève Nussbaum en introduction,” [t]he imperative of political responsibility consists in watching these institutions, monitoring their effects to make sure that they are not grossly harmful, and maintaining organized public space where such watching and monitoring can occur and citizens can speak publicly and support one another in their efforts to prevent suffering” (p. XV). Malgré les nombreuses questions, auxquelles Young n’apporte pas de réponses qui permettraient de renforcer son argument, comme la situation en termes de position socio-économique à laquelle devraient accéder les victimes d’injustices structurelles (la question de son projet normatif et politique), le rôle que l’Etat ou encore les grandes entreprises peuvent et doivent jouer dans la transformation de ces injustices (la question de la force et du statut de l’agir institutionnel), les conséquences du non-respect de leur responsabilité partagée par de agents et donc leur éventuelle culpabilité (ce qui repose la question de sa distinction conceptuelle centrale entre culpabilité et responsabilité), les conséquences des actions collectives qui pourraient ne pas introduire moins d’injustices mais le statu quo ou plus d’injustices (la question de la légitimité des choix politiques), cet ouvrage s’inscrit dans la continuité des réflexions d’une des plus grandes philosophes politiques du XXème siècle. Il remet en question une conception universalisante de la responsabilité individuelle ou culpabilité qui amène des confusions théoriques, une fuite en avant politique et masque des injustices dont souffrent, peut être sans le savoir, des individus alors que d’autres n’ont pas conscience de leur part de responsabilité dans leur établissement (et donc dans leur résolution). Dans cet ouvrage, comme dans les précédents, la justice réclame une action politique dont l’impulsion est donnée par les acteurs composant la société civile qui ont l’obligation d’agir collectivement pour contribuer à rendre (si ce n’est une société) des structures sociales plus justes.
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