Artigo Acesso aberto Revisado por pares

Jean Ehrard, Lumières et esclavage. L’Esclavage colonial et l’opinion publique en France au xviiie siècle

2010; Armand Colin; Issue: 359 Linguagem: Francês

10.4000/ahrf.11508

ISSN

1952-403X

Autores

Christian Albertan,

Tópico(s)

European Political History Analysis

Resumo

En ces temps de repen tance géné ra li sée, on voit s'allon ger la liste des griefs for mulés à l'encontre des Lumières.Dans ce cli mat, des thèses déjà anciennes reprennent vie : les phi lo sophes sont ainsi accu sés dans un nombre gran dis sant d'ouvrages récents d'avoir trahi leurs idéaux.Ils auraient notam ment donné leur aval au sys tème colo nial fondé sur l'escla vage et le racisme, sys tème ayant pro vo qué un effroyable géno cide.Non contents d'avoir fermé les yeux sur ce mas sacre, cer tains d'entre eux auraient tiré des pro fi ts de la traite.C'est à ce dos sier sen sible que Jean Ehrard, pro fes seur émé rite de la Faculté de Clermont-Ferrand et émi nent spé cia liste de l'oeuvre de Montesquieu, s'attaque dans ce livre dense, éru dit, élé gant.Son pro jet est même plus ample, comme l'annonce le soustitre de l'ouvrage : il s'agit d'exa mi ner l'atti tude des phi lo sophes mais, au-delà, de l'ensemble du XVIII e siècle fran çais et euro péen à l'égard de l'escla vage, ce que l'auteur appelle joli ment « la face d'ombre du siècle de l'Ency clo pé die ».Après avoir récusé les dis cours sim pli fi ca teurs et les consi dé ra tions ana chro niques qui fl eu rissent sur le sujet (intro duc tion), l'auteur, qui puise aux sources les plus sûres (tra vaux de Marcel Dorigny, d'Oli vier Pétré-Grenouilleau), s'emploie à repla cer la question dans son contexte.Il rap pelle tout d'abord quelques chiffres utiles à la compré hen sion du débat.Au cours de la période moderne, un peu plus de onze mil lions d'Afri cains auraient ali menté la traite atlan tique, qui, pour effroyable qu'elle soit, demeure -élé ment sou vent ignoré ou passé sous silence -moins dévo reuse en êtres humains que la traite orien tale (dix-sept mil lions d'indi vi dus).Contrai re ment à ce que l'on pour rait pen ser, le beau XVIII e siècle, qui a inventé l'idée du bon heur et promu l'éga lité des hommes, ne corres pond nul le ment à une phase de déclin de l'escla vage et de baisse de ces affreux pré lè vements démo gra phiques.C'est même après 1750, alors que s'épa nouissent en France les Lumières, que le commerce négrier connaît son apo gée.Les effec tifs croissent dans des pro por tions considé rables entre la fi n du XVII e siècle et la Révo lu tion : les Antilles fran çaises comptent 27 000 esclaves en 1678 et 700 000 en 1789 !Paral lè le ment, les textes qui régle mentent l'escla vage se dur cissent au cours de la pre mière moi tié du XVIII e siècle.Les dis po si tions du tris te ment célèbre Code noir (1685) -l'auteur en donne une très inté res sante relec ture (p.35, 43…) et cor rige sur plu sieurs points L. Sala-Molins, son plus récent édi teur -sont aggra vées sous Louis XV.En 1724, l'affran chis se ment est rendu plus dif fi cile ; en 1738, une ordon nance royale reve nant sur un vieil édit du Moyen Âge (1315), qui avait aboli C O M P T E S R E N D U S ANNALES HISTORIQUES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE -2010 -N°1 [203 À 244] prises : ils ne pou vaient abso lu ment pas maî tri ser l'emploi qui en était fait.Tout cela, au demeu rant, ne tirait pas à consé quence.Diderot jouis sait, par exemple, d'une rente via gère de… 20 livres sur la Compa gnie des In des (p. 31 et sq.).L'acte d'accu sa tion des phi losophes est sur ce point des plus minces.Pour le reste, l'auteur éta blit de manière irré fu table que les phi lo sophes des Lumières, dont la pen sée reste natu rel le ment enta chée par cer tains pré ju gés d'époque, ont condamné sans appel le racisme.Ils rejettent de manière tout aussi ferme l'escla vage en mar te lant que les hommes sont égaux à la nais sance et qu'aucun homme ne peut appar tenir à un autre indi vidu.Le commen taire pré cis de textes de Montesquieu, de Buffon, de Vol taire, d'Helvétius, de Condorcet, l'ana lyse d'extraits tirés de l'Ency clo pé die et de l'His toire des Deux-Indes ne laissent sub sis ter aucun doute à cet égard.Mais l'auteur, avec une grande hon nê teté, ne s'en tient pas à ces posi tions de prin cipe et pousse plus loin son enquête, en se pen chant sur ce qui pour rait être qua li fi é de double dis cours des phi lo sophes.L'audace théo rique des phi lo sophes ne débouche, en effet, sur aucune consé quence pra tique.Montesquieu en « réfor miste timoré » est incontesta ble ment anti es cla va giste, mais il ne pro pose nulle part l'abo li tion de l'escla vage (p.157).Les Ency clo pé distes admettent même par moments l'exis tence de l' « odieux commerce » comme un moindre mal (p.179).Quant à Raynal, l'auteur de la célèbre His toire des Deux-Indes, il fi nit par se ral lier à Malouet et à juger l'escla vage conforme à la phi lo sophie et aux lois l'huma nité (p.205).Seul Condorcet milite timi de ment en faveur de l'affran chisse ment.Pour autant, la pen sée des Lumières ne mérite sans doute pas les reproches dont cer tains commen ta teurs modernes l'accablent en fai sant abs trac tion du contexte dans lequel elle s'ins crit.Elle ne peut être conve na ble ment appré ciée si l'on fait abs trac tion des règles de cen sure aux quelles elle devait se sou mettre et elle marque incontes ta ble ment un jalon impor tant dans la longue marche vers l'abo li tion de l'escla vage.C'est ce que l'auteur éta blit au terme d'un pas sion nant exa men.Celui-ci, regret te ront cer tains, prend par fois l'allure d'un plai doyer.On déplo rera peut-être aussi que les auteurs ecclé sias tiques ne béné fi cient pas de la même man sué tude que les phi lo sophes.Le très obs cur Bellon de Saint-Quentin, qui jus ti fi e l'escla vage au milieu du XVIII e siècle, mérite-t-il d'être consi déré comme l'inter prète de la pen sée de l'Église de France ?Ne valait-il pas mieux lui pré fé rer, ou lui oppo ser, un auteur comme Nicolas-Sylvestre Bergier, le célèbre apo lo giste de la fi n du siècle, au dis cours plus critique sur l'escla vage (voir son Traité his to rique et dog ma tique de la vraie reli gion, Paris, 1780) ?La pen sée du sul fu reux Linguet aurait éga le ment pu don ner lieu à de plus longs déve lop pe ments.Obser vons, enfi n, -mais on sort là du domaine que J. Ehrard a choisi d'étu dier dans ce livre -que la réa lité ne se réduit pas aux oeuvres qui la commentent.Dans les années 1730, un jésuite en poste aux Antilles, le Père Frévier, est ren voyé en France à la demande des auto ri tés pour avoir sou tenu des esclaves révol tés.Il est, lui aussi, homme d'Église et aux anti podes de Bellon de Saint-Quentin.Mais ces regrets ne sont rien au regard de tout ce que le livre probe et éru dit de Jean Ehrard, empreint d'un grand huma nisme, apporte à nos connais sances et à notre réfl exion.Christian ALBERTAN 206 Éric SAU NIER (dir.),Villes por tuaires du commerce tri an gu laire à l'abo li tion de l'escla vage, Cahiers de l'his toire et des mémoires de la traite négrière, de l'escla vage et de leurs abo li tions en Normandie, n o 1, cahier annuel publié par le CIRTAI (uni ver sité du Havre), en col la bo ra tion avec la ville du Havre, Le Havre

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