Artigo Acesso aberto Revisado por pares

Le refus du blanchiment de la peau, l’autre versant du xessal

2012; Wiley; Volume: 51; Issue: s1 Linguagem: Francês

10.1111/j.1365-4632.2012.05568_suppl.x

ISSN

1365-4632

Autores

Fatimata Ly, Patricia Vasseur, Agne A. El Fecky, Michèle Verschoore,

Resumo

En Afrique subsaharienne, en particulier au Sénégal, la recherche obsessionnelle d’un teint clair à l’aide de produits blanchissants constitue la pierre angulaire de la culture cosmétique. Une vaste proportion de la population féminine utilise des composés blanchissants à des fins cosmétiques. De ce fait, la prévalence de cette pratique est de 67% dans certaines zones de Dakar.1 Lors d’une étude antérieure, les principales motivations indiquées par la population féminine urbaine pour l’utilisation de produits blanchissants pour la peau étaient les suivantes: logique esthétique, beauté et moyen d’apparat. Aucun complexe d’infériorité concernant la peau blanche n’a été retrouvé.2 Malgré la prévalence élevée des utilisatrices, une rémanence et une découverte de l’enjeu esthétique de la peau noire ont été retrouvées. Notre but était d’analyser les motivations, les arguments et les explications des femmes sénégalaises qui refusaient de se lancer dans le blanchiment de leur peau. Avant tout, notre approche était de savoir si la peau noire était perçue comme le support de l’identité et des normes esthétiques au Sénégal et, ensuite, si elle était au centre d’une ambivalence esthétique. Nous avons utilisé des méthodes qualitatives combinant des entretiens individuels et des groupes de discussion (focus group). Cette dernière méthode a été développée par Gisele Simard depuis 1988.3Le groupe de discussion semble être particulièrement approprié dans le contexte africain, car il s’agit d’une méthode orale qui s’adapte bien aux sociétés dites orales. De plus, afin de guider nos discussions et d’en analyser les résultats, nous avons recruté des chercheurs locaux, parlant les langues locales et possédant une grande maîtrise du milieu socio-culturel en question. Un modèle analytique a été développé pour la quantification des données qualitatives en respectant l’approche qui était significativement instrumentale lors des travaux de recherche menés sur des familles au Cameroun et en Afrique en général. Les données ont été recueillies au moyen d’une grille du 1er au 30 avril 2008; la grille comportait 17 questions semi-ouvertes. Cadre: le Sénégal est un pays subsaharien peuplé de 11 millions d’habitants, dont environ 2 millions vivent dans la capitale, Dakar. Le revenu national brut par tête est de 700 USD. Quarante pour cent de la population vit dans les villes. Le taux d’alphabétisation est de 50.4% chez les femmes et de 72.8 % chez les hommes. Cinquante sept pour cent de la population est âgé de moins de 20 ans.4 L’étude a été conduite dans la capitale du Sénégal et dans son District: «Pikine», «Parcelles Assainies» et «Médina», ainsi qu’à Mbour à 80 km de Dakar. Les thèmes ont été identifiés par les chercheurs et les investigateurs. Plus de 90% de la population était de confession musulmane. La langue la plus parlée était le wolof. Nous avons inclus des femmes sénégalaises, âgées de 40 à 60 ans, indépendamment de l’âge, de la religion et du groupe professionnel. Nous avons réalisé huit entretiens individuels de femmes de divers milieux sociaux et groupes professionnels: styliste, modèle, médecin, pharmacien, compositrice, juriste, et peintre. Six groupes de discussion ont également été formés, chaque groupe comportant des femmes de différentes catégories socio-professionnelles: étudiantes, membres de l’association «Femmes noires», femmes au foyer. Afin de valider les données recueillies et les résultats, nous avons procédéà une double vérification logique par la méthode de l’induction immédiate et à une analyse du contenu de tous les entretiens traduits (du wolof au français) sur un corpus. Cette double vérification nous a permis de trouver, à partir d’un échantillon limité, les types d’idées qui ont déclenché et qui ont ordonné dans une vue synthétique les réponses des femmes interrogées. Les femmes ont été interrogées sur les motivations de leur refus du blanchiment de la peau. Dans un deuxième temps, il leur a été demandé d’exprimer leur principes, leur vision sociale et leur attitude vis-à-vis de leur peau noire. La grille comportait des questions ouvertes ou semi-ouvertes et les thèmes avaient été identifiés avant le commencement de l’étude en ce qui concerne l’élaboration et la construction théorique. Les principaux résultats reposent sur trois axes: le symbolisme de la peau noire, le lien entre beauté et peau noire et l’ambivalence entre peau noire et estime de soi. L’idée principale, c’est que la couleur de la peau fonctionne tout d’abord comme si elle constituait un support de l’identité; certaines femmes pensent qu’en refusant le blanchiment de la peau vous affichez un degréélevé de maturité et vous possédez une forte personnalité. Les considérations religieuses sont également fréquemment mentionnées dans les commentaires de femmes; elles les dissuadent de procéder à un blanchiment de le peau et les poussent à adopter le refus de celui-ci. En effet, le viol de l’authenticité de la peau naturelle est considéré comme un acte de désobéissance à l’ordre divin. Le fait d’altérer délibérément la peau d’une personne par une dépigmentation cosmétique équivaut à entacher le corps originel et à saper la création divine, à blasphémer. En tant que bonnes musulmanes, les femmes interrogées ont suggéré la coexistence, du fait de la volonté divine, de beautés différentes et du nombre infini de belles couleurs pour la peau. Une autre observation a été l’importance attachée par les femmes interrogées à la fonction nourricière et procréatrice de la peau. Ainsi, elles ont signalé plusieurs cas dans lesquels le blanchiment de la peau peut présenter de grands risques ou peut exposer quelqu’un à certains risques; lors d’une intervention chirurgicale, par exemple, en cas de complications, ou même de décès pendant un accouchement si la peau naturellement saine a été détruite. Une proportion importante des femmes interrogées a également partagé des vues similaires: notre peau noire constitue l’enveloppe de notre vie, le fait que nous puissions en ressentir le caractère noir contribue beaucoup à la façon dont nous vivons cette sensation unique de protection qui ne constitue pas uniquement une enveloppe mais un revêtement culturel. La peau noire est également percue comme un symbole et un emblème de l’identité qui révèle que nous sommes des gens sains et bien équilibrés, fiers de leur culture, de leurs origines, de leur éducation, de leur racines et de leur peau. Le discours sur l’éducation reçue est aussi fréquemment mis en avant pour motiver le refus du blanchiment de la peau. Les femmes qui utilisent des composés blanchissants dans un but cosmétique et celles qui refusent le blanchiment de la peau définissent toutes deux la beauté par le fait d’être séduisantes et d’avoir de bonnes manières; la peau est caractérisée par ses qualités: teint, tonus, éclat, douceur et uniformité. La beauté noire est qualifiée de «diamant noir» ou de «princesse» du fait de sa rareté. Les autres qualités de la peau noire sont les suivantes: capacitéà mieux protéger du vieillissement cutanée, capacitéà masquer les irrégularités et les défauts de la peau. Les femmes qui ont refusé le blanchiment de la peau ont en général recours à divers produits perçus par elles comme ne contenant que des composés naturels. En fait, elle présentent en général une obsession qui les pousse àéviter les produits ayant une probabilitéélevée de léser leur peau.Elles utilisent toujours des produits naturels à base de plantes (aloe vera, beurre de karité, huile d’avocat) et tout particulièrement sans hydroquinone. La conservation de la beauté d’une peau noire nécessite de multiples soins et des rituels quotidiens. Les resultats plus ultra escomptes etant de retrouver la fermeté et de rehausser la beauté de la peau noire. Avec cet objectif en vue, les participantes ont indiqué l’utilisation fréquente de produits considérés comme naturels afin d’optimiser leur apparence, avec le souci constant d’éviter les substances considérées comme nocives, toxiques et dangereuses. On croit aussi que la conservation de l’éclat et du brillant de la peau noire ainsi que son maintien en bonne santé permet d’empêcher le vieillissement prématuré constaté chez les caucasiennes et les femmes qui utilisent les agents blanchissants, corticostéroïdes et hydroquinones. Les femmes suivent plus une logique de conservation de leur teint naturel plutôt que celle du refus de l’acte de blanchiment de la peau. La phrase « NIGRA SUM, SED FORMOSA » (« Je suis noire mais belle ») attribuée à la reine de Saba dans la Bible peut résumer de nombreuses représentations faites par les femmes interrogées qui pensent tout particulièrement que la peau noire n’est pas synonyme de laideur! Ainsi, la folie du « blanchiment » ne peut pas frapper les amazones de la peau noire; pour elles le noir est plus qu’une couleur de peau, elles le voient comme un état d’équilibre intérieur! La peau noire est, il est vrai, glorifiée, mais les militantes du « black is beautiful » font face, en privé, à l’incertitude que génère leur spécificité. Elles montrent, via les entretiens, une chute réelle de leur estime de soi et même une altération de l’image qu’elles ont d’elles-mêmes. Nous avons pu noter entre les lignes, lors des entretiens avec les femmes interrogées, une réelle contradiction entre leur adhésion à quelque chose qui est inaliénable, car faisant référence à leur identité profonde, la couleur de leur peau, et cette tension intolérable et insupportable qui démontre l’impossibilité logique d’être le centre de l’attention dans une société qui promeut le teint clair! La phrase de cette participante peut illustrer cette observation: « Je ne suis pas indifférente à la beauté des femmes qui ont le teint clair. Souvent, quand le «Xessal» est réussi, c’est très beau! Osons le dire. Je suis pharmacienne, je travaille dans le domaine de la santé, j’ai peur par dessus tous des conséquences sanitaires du blanchiment de la peau. Je m’inquiète des complications médicales mais, en fait, je confesse qu’un bon xessal est beau» (entretien individuel, pharmacien). L’originalité de notre étude repose sur la méthode utilisée. À notre connaissance, il s’agit de la seconde étude qualitative portant sur la pratique du blanchiment de la peau. En effet, la plupart des études portant sur le blanchiment de la peau sont des études quantitatives conduites à l’hôpital.5 Nous avons utilisé la méthodes des groupes de discussion qui a été validée depuis 1988 et a été largement utilisée en Afrique où la tradition orale est prédominante. Le phénomène du blanchiment de la peau, appelé xessal au Sénégal, est largement utilisé en Afrique subsaharienne avec une prévalence de 25 à 67%.6 Pour une meilleure prévention, il est essentiel de connaître les motivations des femmes qui utilisent des composés blanchissants dans un but cosmétique. Au cours d’une étude antérieure, nous avions trouvé que les principales motivations étaient de nature esthétique. Pour empêcher l’initiation du blanchiment de la peau dans un groupe de femmes qui refusent ces cosmétiques, nous avons menéà bien cette seconde étude. Nos résultats suggèrent que les femmes qui refusent le blanchiment de la peau considèrent leur peau noire comme un marqueur de leur identité et que le refus de cette originalité et de cette spécificité est le commencement de l’aliénation. Nous avons trouvé un lien fort entre couleur de peau et valeurs intrinsèques. Les bases du refus sont de nature religieuse et éducationnelle; ceci n’est pas surprenant car, au Sénégal, la religion est plus présente dans la sphère sociale. Au cours de cette étude, il est important de remarquer que les femmes refusant le blanchiment de la peau n’étaient pas indifférentes à l’aspect embellissement de leur peau. Presque à l’inverse, elles utilisent de nombreux produits pour prendre soin de leur peau, mais tous ces produits ont les mêmes attributs: ils ne renferment que des composés naturels. En outre elles développent leurs propres cosmétiques basés sur des produits pour bébé ou des produits trouvés sur le marché local. Ainsi, pendant les entretiens, nous avons observé que les femmes avaient développé un acte cosmétologique intuitif; elles ont rapporté une large utilisation de «crèmes pour bébé», de diverses huiles et de beurre de karité dans un but cosmétique. Elles sont dans une logique permanente de poursuite de la beauté mais pas au prix de leur santé, contrairement aux femmes qui utilisent les agents de blanchiment.6 Les maladies de la peau associées à l’utilisation cosmétique de composés de blanchiment deviennent plus prévalentes et vont avoir un impact élevé sur la pratique dermatologique.7, 8 L’un des arguments majeurs des femmes qui refusent le blanchiment de la peau est qu’elles apprécient de conserver l’intégrité de leur peau qui les protège mieux du vieillissement cutané9 et dissimule plus les irrégularités et les cicatrices cutanées. Pour les femmes interrogées dans cette étude, ainsi que pour les femmes qui emploient des composés blanchissants, la beauté ne se limite pas à sa dimension épidermique. La beauté est considérée comme une enveloppe culturelle qui définit un groupe par trois caractères, à savoir filiation, tradition et religion. En outre, les caractéristiques de la peau recherchées par les deux groupes sont les mêmes, l’éclat et la fermeté. Ainsi, peau noire n’est pas synonyme de négligence et les femmes interrogées suivent plus une logique de conservation d’une peau naturelle plutôt que celle d’un refus du blanchiment de la peau; nous avons également remarqué une réceptivitéà la diversité des couleurs de peau. Un autre argument pour justifier le refus du blanchiment de la peau est l’importance attachée à la fonction nourricière et procréatrice de la peau. Ainsi, les femmes interrogées ont insistéà de nombreuses occasions sur le risque de complications chirurgicales ou de décès pendant l’accouchement en cas de destruction de leur peau naturelle et saine. C’est un fait bien connu que l’éclaircissement de la peauconstitue une pratique courante pendant la grossesse à Dakar, Sénégal et que l’utilisation de stéroïdes pendant cette période peut se traduire par des conséquence nocives pour la mère et son enfant. Dans une étude, Mahé, et al.8 ont observé que soixante huit des 99 femmes sélectionnées avaient utilisé des éclaircissants de la peau pendant leurs grossesses, les principaux agents actifs étant l’hydroquinone et des stéroïdes très puissants. Les effets indésirables constatés chez les femmes utilisant des corticostéroïdes étaient des niveaux plasmatiques de cortisol plus faibles et des placentas plus petits, avec des différences statistiquement significatives (P < 0.05). Les femmes qui prônent la peau naturelle ont une perception négative des femmes qui utilisent des produits de blanchiment, elles leur reprochent d’être des personnalités psychologiquement très fragiles. Elles pensent aussi que leur capacitéà résister aux influences sociales, à celles des amis, de la famille et même parfois des hommes, contribue à l’élaboration de leur estime de soi. La capacitéà refuser les dangers dus aux caprices de la mode est également vue comme un facteur contribuant à l’estime de soi. Mais, est-ce que ces femmes sont réellement épanouies dans une société qui promeut les peaux claires et qui les considère comme belles et séduisantes avec un capital réel en matière de prestige social?9 Les revendications d’originalité, de singularité et de fierté associées à la peau noire sont difficiles à assumer dans une société où elles ne sont que peu appréciées. Nous pouvons remarquer une certaine ambivalence entre estime de soi et peau noire au Sénégal. La peau noire est glorifiée mais la femme est confrontée aux incertitudes que génèrent sa spécificité. David Le Breton10 a dit un jour, «La condition humaine est corporelle», en observant le scénario sénégalais ne serions nous pas tentés de dire que la condition humaine est cutanée? Au cours de cette étude qualitative, menée en zone urbaine, chez des femmes qui refusent le blanchiment de la peau, la peau noire a été considérée comme un support de l’identité. Les arguments développés pour expliquer le refus du blanchiment de la peau sont principalement d’ordre religieux et de nature éducationnelle. Les autres raisons mises en avant sont les suivantes: conserver une peau naturelle, préserver la santé et éviter le vieillissement cutané. Les femmes interrogées prennent régulièrement soin de leurs peaux noires afin de conserver sa beauté et ses qualités de résistance. Les femmes qui refusent le blanchiment de la peau éprouvent des sentiments contradictoires en relation avec ce dernier car si elles refusent cette pratique, elles admirent les résultats d’un blanchiment de la peau réussi.

Referência(s)