Écrire la rue : de la survie physique à la résistance au stigmate.
2010; Volume: 1; Issue: 1 Linguagem: Francês
10.3917/socio.001.0095
ISSN2108-8845
Autores Tópico(s)Homelessness and Social Issues
ResumoDe nombreux auteurs decrivent plusieurs phases que rencontreraient successivement les personnes qui viennent de se retrouver a la rue : dans un premier temps, elles chercheraient a echapper a leur nouvelle situation, puis commenceraient a s’y adapter, et finiraient par s’y resigner et meme a la revendiquer comme un choix. Mais si l’adaptation aux conditions de vie dans la rue est averee, on peut remettre en question la succession de ces phases et le caractere ineluctable de leur deroulement.Par ailleurs, si on peut faire debuter la periode sans domicile au moment de la perte du logement, on peut aussi considerer qu’on devient un sans-domicile lorsqu’on est designe comme tel par les personnes disposant d’un logement et par les institutions, et qu’on reagit a cette designation. En effet, les sans-domicile sont souvent vus soit comme des « mauvais pauvres », soit comme des faibles. Ils sont ainsi reduits a leur situation presente, et assimiles les uns aux autres, malgre la diversite de leurs trajectoires et des competences qu’ils deploient pour assurer leur survie. Resister a la stigmatisation est l’une de ces competences.Dans son journal en ligne The Panther’s Tale (http://www.lava.net/~panther/tale.html), Albert Vanderburg rend compte presque quotidiennement de sa vie de homeless. Exceptionnel par sa regularite, le journal « de rue » d’Albert, ecrit entre 1997 et 2006, s’insere dans une pratique en plein developpement au tournant des annees 2000. Dans un premier temps, on situe ce journal dans l’ensemble des ecrits semblables (journaux intimes en ligne ou non, rediges par des personnes disposant ou non d’un logement). Puis on combine une analyse textuelle par le logiciel Alceste et une analyse de contenu afin d’etudier, d’une part, l’evolution des themes traites par Albert et de sa facon d’en parler ; et, d’autre part, l’utilisation du journal parmi les moyens qu’Albert met en œuvre pour faire face a la stigmatisation dont il fait l’objet en tant que sans-domicile. L’analyse textuelle met en evidence plusieurs mondes lexicaux : ceux associes a la survie physique (se nourrir, dormir, se procurer de l’alcool ou du tabac), dont le vocabulaire indique une posture de temoin, une prise de recul par rapport a ces moments qu’Albert Vanderburg trouve humiliants ; celui de l’amour et de l’amitie, et ceux qui expriment les jugements d’Albert sur l’art et le sens de la vie, ou il revendique son droit a vivre sa vie comme il l’entend et a avoir une opinion sur la litterature, la peinture, les evenements du monde. Combinee a une analyse de contenu, l’etude de l’evolution de ces themes au cours du temps montre une tendance de fond correspondant a l’adaptation a sa nouvelle existence et au relâchement de ses liens anterieurs, mais revele aussi des remises en question frequentes de son mode de vie, a la merci des evenements fugitifs comme des modifications durables des politiques sociales, de ses ressources ou de sa sante. De plus, la redaction meme de ce journal lui permet de ne pas rester enferme dans l’image du clochard que lui renvoient les regards des autres, et fait partie des moyens qu’il met en œuvre pour assurer sa survie : non plus sa survie physique, mais sa survie identitaire.
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