Athées, agnostiques et déistes au XVIII e siècle

2010; Commentaire SA; Volume: Numéro 132; Issue: 4 Linguagem: Francês

10.3917/comm.132.0939

ISSN

2272-8988

Autores

Emmanuel Le Roy Ladurie, Guy Chaussinand-Nogaret,

Tópico(s)

Historical and Literary Analyses

Resumo

Guy Chaussinand-Nogaret, avec qui je vais m'entretenir, a publie chez Fayard, en 2009, un livre intitule Les Lumieres au peril de bucher. Savant historien, il a consacre une partie de sa carriere a l'etude des athees du XVlll e siecle, avec une predilection pour Helvetius et pour d'Holbach. La famille d'Helvetius est venue d'Allemagne, et passee par la Hollande elle-meme agnostique de temps a autre. Elle s'est rendue a Paris sous Louis XIV. A vingt ans, Helvetius, destine a devenir un parangon de l'atheisme, est deja riche grâce au soutien de la reine Marie, epouse de Louis XV. La fortune dont il jouit lui permet de se livrer a sa passion: la libre pensee. Il exploite en particulier le theme des « trois imposteurs » (Moise, le Christ et Mahomet), auteurs du trio des grandes religions, « mystificateurs et charlatans ». Ils auraient utilise, selon notre philosophe, leurs pretendues revelations pour imposer leur autorite personnelle. Helvetius, intellectuellement, est proche de Diderot. Tout ce qui constitue l'esprit de l'homme, selon Helvetius, provient des sens et des associations d'idees, theme emprunte a Condillac et Locke. Les sensations restent les principales genitrices du systeme anthropique: l'homme exterieur et sensible a confectionne au bout du compte l'homme interieur, reflexif et pensif. Helvetius diffuse prudemment ses idees antichretiennes, dans le cadre d'un salon ou defilent la plupart des intellectuels europeens. L'un des livres « helvetiens » majeurs, De l'esprit donne lieu a une condamnation d'origine ecclesiastique, laquelle en fait un best-seller aux innombrables editions, diffuse illico en France et hors de France. Helvetius est un contemporain a peu pres exact du regne de Louis XV. Son continuateur en atheisme, d'Holbach, fait partie, lui, de la generation prerevolutionnaire. D'abord vaguement deiste, d'Holbach devient athee, discretement militant ; fondamentalement, fougueusement anticatholique. Au XIX e siecle, il faudra attendre Nietzsche et Marx pour rencontrer des penseurs de gros calibre eux aussi, dont l'atheisme virulent rejoindra celui d'une certaine philosophie anterieure, celle des Lumieres. De nos jours, on pourrait plutot parler de l'atheisme comme d'un long fleuve tranquille, avec quand meme quelques cataractes agressives, et reposant de maniere « basique » sur le lit confortable de l'indifference religieuse. Dira-t-on pourtant que la pensee philosophique du XVIII e siecle, au temps des lourds sarcasmes et des grossieretes antireligieuses d'un Voltaire, a quelquefois jete l'enfant avec l'eau du bain ? Je veux dire cet enfant qui deviendra le Christ a trente-trois ans bien sonnes: son influence, meme combattue, meme critiquee de toutes parts, demeure capitale, souvent positive (y compris en dehors des religions etablies), dans toute notre culture occidentale, debordee ou debordant elle-meme sur l'ensemble d'une civilisation planetaire. On reviendra, au terme de ce parcours chronologique, a cette fin du XVIII e siecle qui vit le triomphe momentane des dechristianisateurs. Un pretre du diocese d'Evreux nomme Leconte quitta l'Etat ecclesiastique au temps de cette dechristianisation (automne 1793). Il se maria, a l'instar de son eveque. Ses motivations etaient multiples et il y avait la peur. Les pretres constitutionnels, dont il etait, se trouvaient souvent les plus menaces, car exposes a toutes les insultes des anticures dans les villes.

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