L'Etat, (re)producteur de l'ordre social ?
2014; Wiley; Volume: 20; Issue: 1 Linguagem: Francês
10.1111/spsr.12091
ISSN1662-6370
Autores Tópico(s)Social Policies and Family
Resumo« Le sociologue fait quelque chose d'analogue au coup de force que fait l'Etat en s'appropriant le monopole de la construction de la représentation légitime du monde social », (Bourdieu SE: 70). Il convient de prendre la mesure du défi relevé par Pierre Bourdieu dans les années 1980 au regard de sa réticence prolongée à user du terme d'Etat (Lenoir 2012) bien que nombre de ses objets (de l'école aux lieux neutres de l'idéologie dominante) eussent beaucoup à voir avec l'Etat. Longtemps assimilé à une désignation sténographique faisant obstacle à la connaissance, le terme apparaît dans l'index de ses livres à partir de 1984, une occurrence qui augmente à mesure qu'il échafaude une théorie générale des champs faisant de l'Etat un « méta-champ » dont les luttes ont pour enjeu l'accumulation d'un « méta-capital » orientant les luttes qui prévalent dans tous les autres champs. L'Etat fait alors figure de « pouvoir créateur », d'« entité théologique » capable de (re)produire l'ordre social, d'ordonner à l'insu des agents leurs façons de voir et de faire : « j'étais moi-même victime de la pensée d'Etat. Je ne savais pas que j'écrivais un article sur l'Etat : je pensais que j'écrivais un article sur le pouvoir symbolique. J'y vois maintenant une preuve de la force extraordinaire de l'Etat et de la pensée d'Etat » (256). Bourdieu parle de l'Etat qui est en lui et qu'il tente de mettre à distance en se déprenant de ses catégories depuis une trajectoire sociale (élève boursier, militaire en pleine guerre d'Algérie, professeur) et un point de vue, le Collège de France, grandement liés à l'Etat. Analyser l'Etat, c'est donc aussi, voire surtout, questionner notre rapport à l'Etat. Dans ses cours, Bourdieu ne cesse de souligner la difficulté quasi insurmontable à penser l'Etat sans le faire depuis une pensée d'Etat : l'Etat s'immisce partout, habite nos cerveaux en façonnant nos structures cognitives. Soumettre l'Etat aux questions de sciences sociales étroitement solidaires de son essor s'avère pour le moins ardu, d'autant qu'il faudrait résister à « la force de l'officiel » (60) émanant de cet objet qui implique l'observateur. Il y a là une énorme tension entre la quête d'une distance objectivante et l'impossibilité d'un point de vue externe. Le principal obstacle vient de ce que l'Etat nous conforme et nous fait croire en lui. L'Etat est incorporé et naturalisé au point d'aller de soi. Héritier de l'épistémologie bachelardienne, Bourdieu se demande s'il s'agit là d'un « objet impen-sable » (13) tout en mettant en œuvre ce « programme impossible » (44), l'« entreprise un peu folle » consistant à « faire une théorie générale de l'Etat » (72). Pour se prémunir de l'emprise des discours d'institution et rendre la rupture possible, il s'efforce de retracer la genèse de l'Etat, reprenant le travail laissé en chantier par les « pères fondateurs » de la sociologie : sans surprise, Weber, Durkheim, Marx et Elias figurent en tête des 300 auteurs cités. Pour ce faire, il combine structuralisme génétique et histoire comparée des processus d'étatisation, mais il observe aussi l'Etat en actes, en s'attardant sur des situations ordinaires (corriger des fautes d'orthographe, consulter un calendrier, remplir un formulaire) contextualisées bien au delà de leur localisation phénoménale. L'interaction entre un vendeur et un client au Salon de la maison individuelle est encadrée par des textes de loi, eux-mêmes issus des recommandations de commissions et plus largement de politiques publiques (sur l'aide au crédit, l'accès à la propriété, etc.) qui résultent de rapports de force entre des cordées d'agents issus des grands corps de l'Etat et positionnés dans les ministères et les grandes entreprises privées de construction, relations qui, dans la France des années 1970, ont tourné à l'avantage de ceux qui estiment que « l'attachement à l'ordre social passe par l'adhésion à la propriété » (43). Bourdieu s'appuie sur la topologie sociale si caractéristique de ses travaux, une conception qui facilite le repérage d'homologies, de positions communes à de nombreux espaces auxquelles correspondent des dispositions et des prises de position plus ou moins équivalentes. Systématisant la dimension relationnelle de l'approche structuraliste pour s'écarter de toute représentation substantialiste de l'Etat, sans réduire pour autant les pratiques à l'exécution de règles transcendantes, il enrichit ici sa problématique structurale en mixant longue durée et démarche comparative, analysant le processus d'étatisation en ses variations spatio-temporelles, de la Chine impériale à l'Angleterre médiévale, de la France absolutiste à l'Empire ottoman. Cet éclatement des lieux et des époques dans les nombreux exemples mentionnés et les conditions d'un discours oral le conduisent à simplifier, à condenser, à exprimer son penchant pour la formule (« Les juristes, au fond, se servent de l'Eglise, de ressources fournies en grande partie par l'Eglise pour faire l'Etat contre l'Eglise » : 526) et autres équations (concentration = universalisation + monopolisation : 314), au point de parfois verser dans l'abstraction et même un certain logicisme afférent à son pari nomologique : « Le fondement des choses qui nous apparaissent les plus fondamentales, les plus réelles, les plus déterminantes “en dernière analyse”, n'est-il pas dans les structures mentales, dans des formes symboliques, des formes pures, logiques, mathématiques ? » (256). Il recourt à la modélisation et invoque des « logiques » (« de la genèse des logiques », « du champ », « de l'Etat dynastique », etc.) pour schématiser des processus historiques complexes, ce qui ne va pas sans quelques approximations et inexactitudes qui l'exposent aux critiques des historiens attachés à l'aspect idiographique de la réalité sociale. Le modèle simplifie cette réalité pour dégager une « logique étatique » à l'œuvre nonobstant les singularités socio-historiques, l'hétérogénéité des secteurs dont les échanges font l'Etat et la pluralité des « logiques » qui s'y télescopent. Ce qu'il présente comme une loi de l'accumulation voit l'Etat gagner en force de gravitation à mesure qu'il concentre et transforme des ressources : « Je vais proposer un modèle de la logique selon laquelle me paraît s'être constitué l'Etat, c'est-à-dire le processus de concentration de différentes espèces du capital, processus qui s'accompagne d'un processus de transmutation. J'ai dit l'essentiel » (294). Cette « magie d'Etat » consiste notamment en la transmutation du privé en public: « l'Etat transforme des impôts en culture », une contrainte fiscale se change en capital symbolique, en prestige. Le cours vise à historiciser ce pouvoir alchimique lié à la centralité du « foyer étatique ». Un certain flou entoure ses définitions et délimitations : Etat, champ bureaucratique, champ(s) étatique(s), champ du pouvoir, de quoi parle-t-il exactement ? Si le champ du pouvoir désigne le « lieu où s'affrontent les détenteurs de capital, entre autres choses sur le taux de change entre les différentes espèces de capital » (312), une définition similaire du pouvoir étatique nous est donnée dans un ouvrage paru un an après ce cours (Bourdieu 1992: 90). Dans cette recherche scientifique en train de se faire, le flottement définitionnel ne va pas sans tensions heuristiques: « Je voulais décrire la genèse de l'Etat et en réalité je décris la genèse du champ du pouvoir, c'est-à-dire un espace différencié à l'intérieur duquel les détenteurs de pouvoirs différents luttent pour que leur pouvoir soit le pouvoir légitime. Un des enjeux à l'intérieur du champ du pouvoir est le pouvoir sur l'Etat comme méta-pouvoir capable d'agir sur les différents champs » (489). Au delà de ces complications sémantiques inhérentes au bricolage conceptuel, c'est l'énigme de la domination qu'il ne cesse d'interroger. Dans la société kabyle faiblement différenciée qu'il observa en devenant ethnologue, il rapportait la régularité des pratiques à une « orchestration sans chef d'orchestre » (Bourdieu 1972 : 180) reposant sur la stabilité et l'homogénéité relatives des habitus. Dans les sociétés plus différenciées, où les habitus et les positions dans les différents champs sont à la fois des produits et des producteurs de cette différenciation, l'ordre social ne semble pas moins orchestré, un agencement plus complexe largement assuré par l'Etat. Cette thèse marque une inflexion majeure de sa sociologie. Pour penser l'Etat, il faut se demander comment la fiction étatique d'un point de vue souverain et universel a pu devenir opérante. « Comment se fait-il qu'on obéisse à l'Etat ? C'est au fond ça le problème fondamental » (231). Sa réponse se veut tranchée : une théorie matérialiste du symbolique (264) serait d'autant plus pertinente que « l'Etat est le principal producteur d'instruments de construction de la réalité sociale » (266) et qu'il « marcherait » essentiellement à la violence symbolique. L'espace-temps de l'ordre social paraît impulsé depuis un lieu dispenseur d'ordre (rêvé par les philosophes modernes, de Hobbes à Leibniz), point focal et « géométral de toutes les perspectives », un centre ordonnateur des pratiques et des attentes des agents: « L'Etat structure l'ordre social lui-même – l'emploi des temps, le budget-temps, nos agendas, toute notre vie est structurée par l'Etat – et, du même coup, notre pensée ». (291). Par son pouvoir de nomination, de délégation et d'homologation, l'Etat extorque en douce le consensus, ce rapport de force méconnu : « C'est ce que j'appelle la violence symbolique ou la domination symbolique, c'est-à-dire des formes de contrainte qui reposent sur des accords non conscients entre les structures objectives et les structures mentales » (239). Les cerveaux semblent accordés à et par l'Etat, une syntonisation qui, thèse centrale de ces cours, reproduit l'ordre social. L'adéquation entre les positions et les dispositions sociales renforce et est renforcée par la doxa: les pratiques avalisées par l'Etat paraissent réglées, nécessaires, évidentes, « la force du monde social réside dans cette orchestration des inconscients » (145). Inversant le schéma marxien (« le vieux schéma infrastructure/superstructure doit être rejeté, mais si on veut le garder, il faut au moins le mettre à l'envers. Pour comprendre un miracle économique, ne faut-il pas partir des formes symboliques ? » : 256), l'auteur de La distinction se démarque aussi de Weber et Elias en insistant sur le primat du capital symbolique. Dans une veine très durkheimienne liant structures sociales et mentales, conformisme logique et moral, il accorde la primauté au capital symbolique pour expliquer la force d'attraction de l'Etat : « Le coup d'Etat où est né l'Etat témoigne d'un coup de force symbolique extraordinaire qui consiste à faire accepter universellement, dans les limites d'un certain ressort territorial qui se construit à travers la construction de ce point de vue dominant, l'idée que tous les points de vue ne se valent pas et qu'il y a un point de vue, qui est dominant et légitime » (116). Si l'Etat résulte d'un processus de concentration de plusieurs types de capital (coercitif, économique, culturel), c'est l'accumulation du capital symbolique qui serait primordiale pour en faire le garant de l'ordre établi. Dès Homo academicus, il avait complété la formule wébérienne pour attribuer à l'Etat le « monopole de la violence symbolique légitime » (Bourdieu 1984 : 42). Cette thèse soulève un sérieux problème puisque, à la différence de la contrainte physique légitime, l'Etat semble très loin de détenir (ou même de revendiquer) le « monopole de la violence symbolique légitime », celle-ci s'avérant pour le moins dispersée et provenant aujourd'hui de plus en plus des agences de notation, de la télévision commerciale ou des campagnes publicitaires des multinationales. Pourquoi Bourdieu a t-il persisté dans cette assertion qui ne résiste pas à l'observation ? Du fait de son attrait, hérité de Ernst Cassirer, pour la prégnance symbolique ? Pour se distinguer d'un Charles Tilly faisant du degré de concentration de la contrainte physique et du capital financier ses deux principales variables pour rendre compte des formes prises par les Etats européens (Tilly 1990) ? En se focalisant sur la « monopolisation de l'universel », n'aurait-il pas surestimé l'autonomisation de la sphère étatique (comme auto-constituée) et adopté une perspective statocentrée (francocentrée ?), peu attentive aux médiations qui ont imposé ou combattu une telle dépossession ? Pointe alors une autre interrogation : si « le capital symbolique, c'est ce capital que détient par surcroît tout détenteur de capital » (303), comment pourrait-il être premier, voire préalable (317), dans la genèse de l'Etat ? Plus-value de l'efficience d'autres capitaux, le capital symbolique peut difficilement passer pour un capital sui generis ou originaire. Dépendant de performances, il est ouvert à la dévalorisation. Assimiler son accumulation à un stockage, comme pour un bien physique (et faire de l'Etat la « banque centrale de crédit symbolique » : 342), mène au fétichisme et rend difficilement intelligible la dimension révocable, car extrinsèque, de cette ressource. Même quand celle-ci s'objective (dans des textes et des objets, des monuments et des emblèmes), son efficace se rejoue continûment dans des relations. Lourde d'une acception objectale, voire substantialiste, l'expression « capital symbolique » tend à faire dévier Bourdieu, tout à sa quête du substrat du pouvoir étatique, de sa démarche relationnelle. C'est parce qu'il considère le droit et sa mise en forme des règles censées régir les conduites comme le summum du pouvoir symbolique qu'il fixe autant son attention sur la contribution, certes cruciale, des juristes à la construction de l'Etat moderne, tendant au passage à minorer la part d'autres types d'acteurs qui ont aussi puissamment concouru à faire l'Etat, tels les militaires et les policiers (Jobard 2012), les diplomates et les financiers. Voulant percer le « mystère du ministère », n'a t-il pas exagéré le poids de la doxa ? Affirmer que l'Etat s'appuie principalement sur la doxa tend à faire oublier qu'il ne s'est pas imposé par la seule violence symbolique, sans coup férir, sans recourir aux « forces de l'ordre », et qu'il existe aussi une doxa antiétatique. Si la domination étatique relève in fine de « l'adhésion doxique », comment expliquer les oppositions qui scandent son histoire (des révoltes antifiscales aux guerres de religion, de la Fronde aux soulèvements paysans, pour le seul cas de la France) et la labilité du « capital symbolique » lors des processus de désobjectivation ? Souvent hâtivement (dis)qualifié de « sociologue de la reproduction », Bourdieu privilégie indéniablement l'ordre, les structures très structurées et très structurantes, ce qui l'a amené à délaisser les configurations voyant ces structures perdre en solidité, ou même devenir déstructurées et déstructurantes. L'Etat qu'il nous présente, souverain, majestueux, méta(physique), capable de presque tout régenter, à même d'inculquer ses catégories de perception à tous ses sujets (549), renvoie à l'image de ses mises en scène, celle que voulurent en donner ses dirigeants. Comment dès lors saisir le discrédit, la désacralisation ? Inclure davantage dans son modèle des défaillances du mode de domination étatique l'aurait peut-être incité à réviser cette image monolithique (celle d'une juridiction totale), discours d'institution, qui occulte les contestations. Autre silence qui ne laisse pas d'intriguer, les échos des événements qui secouent alors toute une série d'Etats paraissent s'être arrêtés aux portes du Collège de France (lors des 23 séances données entre 1990 et 1992, l'effondrement du « bloc de l'Est » n'est mentionné qu'une seule fois), des crises qui mettent en cause sa thèse d'une efficacité majeure de la domination symbolique par l'allongement des circuits de légitimation (Bourdieu 1989 : 555). Pour prévenir toute lecture téléologique de la « loi de la concentration » menant de l'Etat dynastique à l'Etat providence, Bourdieu l'appréhende comme un processus réversible, non-linéaire (manière de critiquer l'évolutionnisme de Weber et d'Elias), susceptible d'emprunter de nouvelles directions ou de comporter des reculs, l'Etat absolutiste marquant par exemple un arrêt dans la dépersonnalisation du pouvoir. Cependant, le concept de non-linéarité ne signifie pas seulement absence de linéarité, il s'applique à l'émergence de boucles de rétroactions ayant pour effet de changer une conformation d'ensemble, une structure : la séquence de luttes impulsant une « révolution » peut être comprise comme une concaténation de conflits émergents reconfigurant les structures sociopolitiques. A deux reprises, il souligne l'importance du concept d'émergence (130 et 301), mais renonce à s'en servir, ce qui serait pourtant très utile pour éclairer les processus de désobjectivation de structures étatiques vulnérables aux dynamiques spéculaires d'auto-amplification à l'œuvre dans les guerres civiles, les révolutions et autres crises, configurations où des rapports de domination peuvent être contestés, où l'ordre sociopolitique paraît s'effondrer et le capital symbolique s'évaporer. Penser en termes d'émergence permettrait de dynamiser son usage cartographique du concept de champ (lui faisant évoquer les « quatre coins de l'espace » ou le « côté gauche de l'espace social » : 41 et 43), qui demeure trop statique et synchronique, pas assez processuel, pour rendre raison de la mobilité des relations dont les fluctuations constituent à la fois le produit et le moteur d'un champ (où « les choses bougent » : 518). Son exposé surplombant de l'institutionnalisation de l'Etat, qui conçoit la « logique du changement historique » en termes de « contradictions » et réduit les crises (toujours antérieures et latentes) à l'actualisation de l'état des structures, écarte les phases de désobjectivation et les bifurcations. Les quelques remarques sur la révolution française trahissent ce point de vue tectonique (qui va jusqu'à lui faire dire : « chacun des champs veut… » : 489), dont les conclusions se révèlent étonnamment proches de Tocqueville (bien qu'une seule fois cité), à propos du rôle des juristes (« il y a un moment où l'arbitre a envie de venir jouer; et peut-être que la Révolution française, c'est un peu ça » : 479) ou du renforcement subséquent de la « logique étatique ». S'il bute sur les processus émergents, c'est aussi parce qu'il ne s'intéresse pas à la façon dont les acteurs ressentent, interprètent et, partant, modifient les situations dans lesquelles ils sont pris, négligeant de la sorte la force instituante de l'événement et la variabilité du degré de structuration des pratiques. En livrant une explication centrée sur « le triomphe du mode de reproduction impersonnel sur le mode de reproduction personnel » (418), ne cède-t-il pas à son tour à une philosophie de l'histoire ? Un aveu (« J'ai publié La Noblesse d'Etat en 1989 pour faire voir que la Révolution française, sur l'essentiel, n'avait rien changé… » : 546) laisse entendre que ces formules à l'emporte-pièce procédaient de raisons extrascientifiques. Dans les années 1990, l'Etat devient explicitement un objet central de la sociologie de Bourdieu, qui met l'accent sur la dimension symbolique de l'ascendant étatique au moment précisément où une certaine conception de l'Etat, dieu mortel, cède du terrain aux Etats-Unis et en Europe sous le coup (qui n'est pas que symbolique) de l'offensive néolibérale, comme si la montée en puissance du capital financier et du « marché », une autre puissante fiction agissante, venait contrecarrer la force gravitationnelle de l'Etat. Parallèlement, le sociologue s'autorise ce qu'il s'interdisait jusque là en assumant un rôle de porte-parole pour soutenir des mobilisations au nom de la sauvegarde de « la main gauche de l'Etat », prise de position qui nous renseigne sur les tiraillements auxquels il devait faire face, et dont il fit un usage si fécond pour les sciences sociales, entre la tentation du dévoilement des ressorts cachés (reconnaisance-méconnaissance) de la domination et son attachement à la sociodicée universalisante de l'Etat, une « reconnaissance de dette » pour le moins déchirante dont il n'ignorait pas qu'elle pouvait aussi passer pour le comble de l'obsequium. Hervé Rayner est Maître d'Enseignement et de Recherche suppléant en Science Politique à l'Université de Lausanne. Il a obtenu son doctorat en Science Politique à l'Université de Paris Ouest Nanterre La Défense. Ses travaux sur les scandales, la politique italienne et la politique suisse ont été publiés dans de nombreux livres, chapitres de livre et revues.
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