Les insectes actuels témoins des passés de l’Afrique : essai sur l’origine et la singularité de l’entomofaune de la region afrotropicale
2010; Taylor & Francis; Volume: 46; Issue: 3-4 Linguagem: Francês
10.1080/00379271.2010.10697672
ISSN2168-6351
AutoresPhilippe Le Gall, Johanne Silvain, André Nel, Daniel Lachaise,
Tópico(s)Fossil Insects in Amber
ResumoRésumé Cet essai sur l'histoire évolutive des insectes dans la région afrotropicale met en rapport la systématique et l'évolution de nombreux groupes d'insectes avec les grands traits de l'histoire géologique, paléobiogéographique et paléoclimatique du continent africain. Il est réalisé à partir d'une approche synthétique qui s'efforce d'analyser quelques grandes lignes de l'origine de la diversité des faunes entomologiques de cette région. Si l'histoire générale des insectes à l'échelle du globe est assez bien connue grâce aux fossiles, ces derniers restent relativement rares, ou peu étudiés, sur le continent africain malgré la richesse entomologique de plusieurs gisements d'Afrique australe. Les premières traces fossiles connues en Afrique remontent au Permien (Madagascar et Afrique du sud, Formation de Whitehill : 250–290 Ma), une faune de type plus moderne est connu du Trias supérieur (gisement de Molteno : 200–250 Ma) et se diversifie véritablement au Crétacé (gisement d'Orapa : 89–93 Ma). L'importance de ces gisements ne permet cependant pas de se représenter l'évolution des faunes d'insectes africains, en particulier entre le Trias et le Crétacé et au long du Cénozoïque. Or, c'est à cette époque que la faune africaine acquiert l'essentiel de son originalité actuelle. Le point originel de la région afrotropicale se situe à l'éclatement du Gondwana, qui se traduit entre autres par la séparation définitive des continents africain et sud-américain au début du Crétacé supérieur vers 95 Ma. Mais si l'Afrique tire sa spécificité, comme région biogéographique, de l'éclatement du Gondwana, la question se pose de savoir quelle a pu être l'influence de l'ancienne continuité géographique entre les continents de l'hémisphère sud sur les faunes actuelles de ces régions et notamment de la région afrotropicale. Les taxons qui présentent des répartitions disjointes sur plusieurs éléments des continents austraux sont ainsi généralement qualifiés de gondwaniens. Ils présentent des taux remarquables d'endémisme. On ne leur connaît pas de représentant actuel hors des régions australes des continents de l'hémisphère Sud. Pourtant, les fossiles suggèrent que ces distributions disjointes seraient le résultat d'un processus d'extinction postgondwanien plutôt que du maintien d'un endémisme originel. Il serait alors plus judicieux d'utiliser à leur propos la dénomination de taxons mésozoïques en lieu et place de taxons gondwaniens. L'Amérique du Sud et l'Afrique constituent deux ensembles comparables et ayant partagé une histoire commune avant la scission du Gondwana. L'Afrique partage peu de taxons actuels avec le continent américain et l'origine des éléments communs apparaît comme très diverse. Il faut tout d'abord écarter les espèces qui ont bénéficié d'un transport humain. C'est le cas de divers insectes ravageurs et de certains de leurs antagonistes. On reconnaît aussi quelques genres communs à l'Afrique et aux Amériques, comme Schistocerca (Orthoptères) ou Mallodon (Coléoptères). Le genre Schistocerca originaire de l'Ancien Monde s'est fortement développé en Amérique du Sud et en Amérique centrale suite à un événement de migration trans-atlantique récent, fortuit et très certainement unique. La voie de passage la plus fréquentée a été le détroit de Behring, mais elle a imposé aux taxons une capacité d'adaptation aux climats tempérés à froids qui régnaient dans cette région à partir du Miocène et n'a pas permis le passage à nombre de taxons de climats chauds intertropicaux. L'ancienneté de certains taxons s'illustre par l'existence de disjonctions dans les chorologies des genres ou des familles. Des exemples s'observent tout particulièrement chez les Orthoptera: Charilaidae, chez certainsDiptera: Bombyliidae et des Hymenoptera: Megachilidae de la tribu des Fideliini. Les grands ensembles biogéographiques de la région afrotropicale se sont mis en place au cours d'évènements biologiques catastrophiques ou non (crises de la diversité, etc.) qui ont modelé les flores et les faunes du Crétacé au Néogène. La fin du Crétacé est supposée marquée par une crise biologique majeure, mais celle-ci n'a apparemment pas affectés les familles d'insectes de façon significative. Les grands changements au niveau familial chez ceux-ci et chez les angiospermes se sont produits bien plus tôt, au milieu du Crétacé (Albien-Turonien). De nombreux groupes végétaux ou animaux disparaissent, tandis que se développe une nouvelle flore dominée par les Angiospermes et les faunes associées. Au Néogène le continent africain est le théâtre d'une explosion des formes biologiques adaptées aux environnements dominés par les graminées liés aux changements climatiques qui interviennent à cette époque. Une autre période clé pour la faune entomologique éthiopienne est la restauration du contact entre la plaque tectonique africaine et la plaque eurasiatique au Miocène vers 17 Ma, voire avant, vers la fin de l'Oligocène. Trois régions biogéographiques de l'Ancien Monde, les régions paléarctique, orientale et éthiopienne partagent à divers moments de leur histoire de nombreux taxons. La mise en contact physique des plaques eurasiatique et africaine renforce les passages entre ces régions. Les échanges, nombreux, n'interdisent pas le maintien d'un fort endémisme. L'Afrique australe se caractérise ainsi par une faune d'insectes endémiques très remarquable. Si quelques-uns de ces rameaux correspondent parfaitement à ce que l'on peut appeler des reliques gondwaniennes, l'isolement géographique a contribué à l'originalité des processus évolutifs locaux, processus qui auraient pu être accélérés par les conditions écologiques particulières comme cela a été démontré pour les Tenebrionidae et certains Scarabaeidae du désert du Namib. La région intertropicale du continent a été le creuset de l'évolution des faunes forestières. L'immense massif forestier supposé plus ou moins continu au Paléogène a connu dès le Miocène et jusqu'à aujourd'hui une longue histoire de morcellement et de reconstruction qui, par contrecoup, a contribué à diviser les nombreuses lignées forestières en espèces et populations multiples. La systématique des genres actuels d'insectes forestiers est le reflet de cette histoire chaotique. Les montagnes de la région éthiopienne ont aussi joué un rôle déterminant dans la structuration des faunes d'insectes. Comparée aux faunes d'altitude des régions orientale et néotropicale, l'entomofaune d'altitude est relativement pauvre en Afrique sub-saharienne, mais elle indique clairement des affinités complexes et des migrations anciennes entre les grands blocs faunistiques actuels. Les forêts submontagnardes volcans miocènes de la Ligne Volcanique du Cameroun, comme les montagnes granitiques pré-miocènes de l'Arc Oriental, chaîne de montagne qui s'étire des collines de Taita (Kenya) au Makambako Gap en Tanzanie, ont fonctionné comme des « îles continentales » pendant au moins 10 millions d'années. Elles ont généré un grand nombre de formes endémiques. La Ligne Volcanique du Cameroun a joué un rôle structurant très important aussi bien dans la circulation que dans l'isolement des éléments faunistiques, non seulement montagnards, mais surtout des espèces adaptées aux altitudes moyennes qui se sont particulièrement développées en Afrique orientale à la suite du relèvement de l'Est et du Centre de l'Afrique. Le rôle du Rift africain est encore difficile à apprécier. Les études faunistiques sont très généralement restreintes à des analyses sous-régionales ou restent simplement descriptives. Hormis l'analyse des faunes montagnardes, peu de synthèses comparent les régions ouest et est africaines. La complexité des forces évolutives à l'oeuvre, soulèvement global de la région orientale, volcanisme récent, présence de chaînes montagneuses anciens, assèchements du climat à l'Est et maintien de grands massifs forestiers à l'Ouest, complique l'analyse du message contenu dans les faunes actuelles. On dispose là d'un chantier de recherches plein de promesses à condition de l'étendre au-delà du simple rôle du Rift. Tous les éléments présentés ici démontrent que l'entomofaune de la région éthiopienne est un assemblage composite d'espèces anciennes, d'espèces jeunes et d'espèces naissantes qui illustrent la diversité des histoires évolutives qui se sont déroulées dans cette région. À travers leur diversité, les insectes sont un modèle incomparable pour l'étude des écosystèmes terrestres et les connaissances accumulées par les travaux taxonomiques et faunistiques offrent un vaste champ d'investigation à explorer grâce aux outils modernes de la biologie.
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