Bernanos-Bresson ( Journal d’un curé de campagne ): le spectateur du film/lecteur du journal, ou l’image des mots
2008; University of Nebraska Press; Volume: 33; Issue: 3 Linguagem: Francês
10.1353/frf.0.0056
ISSN1534-1836
Autores Tópico(s)Historical Studies and Socio-cultural Analysis
ResumoBernanos-Bresson (Journal d'un curé de campagne): le spectateur du film/lecteur du journal, ou l'image des mots Mireille Raynal-Zougari Je me promettais quelques consolations de l'enseignement du catéchisme élémentaire, de la préparation à la sainte communion privée selon le vœu du saint pape Pie X. [. . .] J'ai tout de suite senti la résistance des garçons, je me suis tu. Après tout, ce n'est pas leur faute, si à l'expérience précoce des bêtes—inévitable—s'ajoute maintenant celle du cinéma hebdomadaire. (Bernanos, 1974, 54–55) Peut-être vexé par cette attaque en règle de Bernanos contre le cinéma, Bresson répond par un film qui est une mise à l'épreuve—par l'image—, de la parole, de l'écriture, de la lecture. Qui plus est, bon joueur il revendique sans doute l'association bête-cinéphile au sens où l'expérience cinématographique nous permet de retrouver cette brutalité d'un contact avec la primitivité, avec le mystère des choses, cette "parlure visible des corps, des objets, des maisons, des rues, des arbres, des champs" (Bresson, 1995, 26) que le créateur est tenté de transposer en signes. Si le monde est "parlure visible" comment le cinéma peut-il la rendre? D'abord, il peut le faire en prenant une parlure, en l'occurrence une parlure écrite, celle du journal du curé: à partir de cette matière que lui fournit Bernanos, Bresson refait un texte, écrit un autre texte, visible. Il accorde alors une importance considérable aux images du journal écrit ou en train de s'écrire—un cinquième du film—mais en privilégiant la matérialité du texte. Cette figure du texte se situe entre l'intériorité et le discours ordonné. Elle produit moins un effet de sens, comme le fait tout ensemble ordonné de signes qui traduisent une pensée, qu'elle ne produit un [End Page 105] effet d'insignifiance par sa matérialité même, le dispositif dans lequel la parole intérieure est inscrite, transcrite. Portant d'"insignifiants secrets"—voir séquence I—, le journal ne les achemine pas vraiment vers une signification clairement formulée, intelligible. Le texte se situe plus dans le domaine de l'intuition, mot cher à Bresson. En effet, le cinéaste semble se demander comment filmer une âme, ce réceptacle de la grâce et semble répondre en se contentant de circonscrire le lieu de cet événement, la grâce—dernier mot du curé—, ses marges, les conditions de son apparition mais en même temps en manifestant le retrait de cet événement, dans le silence et dans l'immobilité—voir la fin, séquence 26. Bresson filme le lieu où l'infini change de nature, le lieu de sa circonscription. Mais creuser l'espace où l'énigme pourrait se manifester revient ici à augmenter l'énigme d'une âme. Tout le travail du film va alors consister à faire que l'image de la réalité et la parole qui dit cette réalité se retirent à l'intérieur de la parole muette, de la "parlure visible," qu'est le texte écrit et vu. I. Le corps du texte:1 Cette visibilité est d'abord celle des mots, du corps du texte. 1) La parole paraît vraie / l'écriture est vraie Le film pose la question de la vérité de la parole proférée, de l'expression. La parole peut être un masque, comme celui que porte la fille du Comte, Chantal, belle parleuse, raisonneuse, manipulatrice par la parole, qui s'écrie "vous êtes donc le diable" lorsque le curé perce ses véritables intentions, cette parole intérieure qu'elle n'a pas livrée—voir séquence 17. La parole mensongère est dangereuse, comme le suggère ce double jeu que joue la maîtresse illicite du comte, Mademoiselle Louise, qui vient tous les jours à la messe mais envoie une lettre de menace au curé dont il reconnaît l'écriture grâce au missel oublié dans l'église. L'écriture, elle, ne ment...
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