« La Mer, la plage, l'épouvante » : l'imaginaire des <i>boat people</i> haïtiens dans la littérature caribéenne anglophone et francophone
2011; Johns Hopkins University Press; Volume: 51; Issue: 2 Linguagem: Francês
10.1353/esp.2011.0026
ISSN1931-0234
Autores Tópico(s)Migration, Identity, and Health
Resumo« La Mer, la plage, l'épouvante » :l'imaginaire des boat people haïtiens dans la littérature caribéenne anglophone et francophone Gaëlle Cooreman Tout le monde a gardé le souvenir des boat people haïtiens, ces réfugiés qui préféraient prendre le risque de se noyer lors de la traversée vers la Floride plutôt que de continuer à vivre dans leur pays natal. Le phénomène était particulièrement d'actualité pendant la dictature de François Duvalier (Papa Doc) et son fils Jean-Claude (Bébé Doc) (1957-1986). Les années soixante se caractérisaient surtout par le départ de personnel qualifié, les plane people ou Boeing people, qui disposaient de ressources suffisantes pour se payer le billet d'avion1. Quasiment toute l'élite quittait le pays, brain drain dont Haïti ne se rétablirait jamais. Ces migrants étaient facilement considérés comme des exilés politiques et étaient acceptés sans difficultés majeures dans les pays d'accueil, vu leurs qualifications professionnelles. Aussi la décennie suivante se caractérisait-elle par l'exode rural, la prolifération des bidonvilles et l'intensification de la traite verte, c'est-à-dire la migration des travailleurs haïtiens à travers la Caraïbe pour la coupe de la canne à sucre. Les migrations vers l'Amérique du Nord et l'Europe subissaient également d'importantes transformations dans la mesure où c'étaient maintenant surtout les membres des classes sociales inférieures qui partaient2. Le premier bateau de réfugiés haïtiens, qui étaient en même temps les tout premiers boat people, fut signalé en septembre 1963. Le véritable flux migratoire ne s'est cependant manifesté qu'à partir de 1972, année où le mot bot pippel fit son entrée dans la langue créole. Le mouvement, d'abord lent et timide, s'accélérait sensiblement à partir de 1978, moment où les autorités haïtiennes sont entrées dans l'organisation du trafic. Pendant certains mois tout au long de la décennie 1980, on a enregistré des pics de plus de deux mille personnes. C'est pourquoi, en 1981, les autorités américaines prirent des mesures draconiennes qui réussirent à endiguer le flux, sans cependant pouvoir l'arrêter. Après le coup contre Aristide, en 1991, plus de cent mille Haïtiens se sont enfuis et éparpillés à travers la Caraïbe et les États-Unis. En 1992, quarante mille boat people essaient de gagner l'Amérique. En février 2004, lors de la crise politique précédant le départ d'Aristide, des boat people partent à nouveau en grand nombre. Jusqu'à aujourd'hui, des bateaux continuent [End Page 34] d'arriver. Par ailleurs, il est relativement facile de prédire les fluctuations de ce mouvement migratoire : après des périodes de grande sécheresse et de récoltes détruites, après des coups d'état et pendant les périodes de déchoukaj3, les Haïtiens partent massivement. En revanche, en février et en mars, peu de boat people risquent la traversée dangereuse, en raison de cyclones dans le bassin caribéen. En général, les réfugiés partent dans des embarcations de fortune, des cercueils flottants, sans boussole ni autres instruments de navigation. Ils ont en moyenne une chance sur deux de ne pas survivre à la traversée vers la Floride. À cela s'ajoute qu'ils risquent de se faire détrousser de leurs maigres ressources par des pirates cubains. Ceux-ci sont toutefois plus vigilants à mesure que s'intensifie la présence des gardes-côtes américains dans le cadre de la lutte contre la migration illégale. En outre, de nombreux boat people sont victimes du trafic d'êtres humains. Pendant le régime de Papa Doc (1957-1971), la Bahama Connection vit le jour. Les trafiquants réglaient de faux passeports et visas, ainsi que des voyages en avion aux États-Unis, pour des montants qui s'élevaient jusqu'à trois mille dollars. Au contraire, dans les années soixante-dix, tous ceux qui pouvaient...
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