Artigo Revisado por pares

De quelques musiques secrètes : Pascal Quignard et Richard Millet

2007; Johns Hopkins University Press; Volume: 47; Issue: 2 Linguagem: Francês

10.1353/esp.2007.0043

ISSN

1931-0234

Autores

Isabelle Soraru,

Tópico(s)

Musicology and Musical Analysis

Resumo

De quelques musiques secrètes:Pascal Quignard et Richard Millet Isabelle Soraru «La musique est le lieu où la pensée respire »1 , écrit Louis-René des Forêts dans Voies et détours de la fiction, formulant ainsi la place toute particulière que la musique occupe dans son œuvre, où le silence, cette ombre portée de la musique, semble constituer une forme de réponse aux apories du langage. Cette formule, Pascal Quignard comme Richard Millet ne la récuseraient sans doute pas, tant la musique occupe une place prépondérante dans leurs œuvres, dans une intrication intime et permanente avec l'écriture, comme si celle qu'on nommait jadis l'ars bene movendi, l'art de bien se mouvoir, pouvait faire se correspondre mouvement de l'art musical et mouvement de la pensée. Richard Millet connaît l'œuvre de Pascal Quignard : il évoque les Petits Traités et Le Salon du Wurtemberg dans Accompagnements2 . Dans Le Sentiment de la langue, Millet raconte comment il apprit à entendre « le patois limousin, l'arabe libanais, l'arménien, l'anglais, le latin, l'argot des années soixante, avant d'en savoir la syntaxe »3 , et comment toutes ces langues se heurtèrent alors au français, la langue paternelle. Le corps de ces langues fut alors doublé par un autre corps, absent et fantôme, soit celui du musicien qu'il aurait pu devenir : même si, dans Musique secrète, Millet mentionne sa pratique de pianiste, il privilégia en définitive la voie de l'écriture à une véritable carrière de musicien. Pascal Quignard, s'entretenant avec Chantal Lapeyre-Desmaison, avoue qu'il aurait dû être musicien pour perpétuer la longue lignée paternelle d'organistes, allant jusqu'à parler d'une forme de « culpabilité » et de « destin » auquel il se serait soustrait4 . Enseveli dans l'écriture, le corps de la musique semble alors battre sourdement, comme la trace d'un regret ancien. La musique renvoie, dans les œuvres de Pascal Quignard comme celles de Richard Millet, à la mémoire, à l'origine, à la figure de cet infans que le sens ne touchait pas encore. Ils nous rappellent tous deux que l'ouïe est sans doute le sens premier : celui de l'obscurité d'un ventre, puis celui de l'infans qui, ne maîtrisant pas encore le langage, entendait encore les langues comme d'obscures musiques. Pourtant, écrit Pascal Quignard dans Le Nom sur le bout de la langue, « la seule corde de rappel possible » pour l'écrivain « n'est jamais qu'une corde de langue »5 , alors même que, comme Lord Chandos chez Hoffmansthal, il est parfois tenté de penser que les mots peuvent tomber en poussière [End Page 115] et se décomposer comme des champignons pourris. Mais le recours à la musique n'est, en vérité, pas chose anodine, et ne représente pas un asile d'évi-dence pour la langue qui s'y affronte : on ne pratique pas aussi aisément l'ekphrasis « musicale » que picturale, et l'art musical, par son statut même d'art non représentatif, est toujours, en un certain sens, au-delà ou en deçà du sens qui la porte. Si l'on exclut sa place en tant que thème, par le biais de personnages de musiciens ou de compositeurs, nombreux chez Pascal Quignard comme chez Richard Millet, on peut prendre toute la mesure de la tension qui peut se jouer alors dans l'écriture : comment en parler autrement que comme cette fleur mallarméenne, cette « absente de tout bouquet » ? Pour envisager une manière de réponse, qui ne pourrait épuiser la richesse et la profondeur des rapports à la musique de ces deux écrivains contemporains de la même génération6 , sans doute faudrait-il commencer par sonder cette « haine » de la musique, titre singulier d'un essai de Pascal Quignard, face à la « musique secrète »7 de Richard Millet, pour qui l'art musical est aussi l'accompagnement sans faille de toute une vie et dont le statut lui semble être bien supérieur à celui du texte. L'Écrivain face à la...

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