L’Association internationale des éducateurs de jeunes inadaptés (AIEJI) et la fabrique de l’éducateur spécialisé par delà les frontières (1951–1963)
2014; Taylor & Francis; Volume: 50; Issue: 1-2 Linguagem: Francês
10.1080/00309230.2013.872688
ISSN1477-674X
Autores Tópico(s)Historical Studies on Reproduction, Gender, Health, and Societal Changes
ResumoAbstractCet article aborde l’histoire de l’Association internationale des éducateurs de jeunes inadaptés (AIEJI), une organisation méconnue dans l’histoire de l’éducation spécialisée. Créée en 1951, elle devient un lieu d’échanges pour des éducateurs en recherche de modèles. Elle est constituée dans le contexte de rapprochement franco-allemand, par le biais de rencontres annuelles, notamment initiées par les éducateurs français, qui existent depuis le début des années 1940, exerçant dans des internats récemment ouverts pour accueillir enfants et adolescents placés. De nombreux voyages d’étude structurent les échanges entre éducateurs de pays différents et forment les contours d’une organisation dont l’axe se situe rapidement entre Pays-Bas et France. L’AIEJI contribue aux débats sur le rôle de l’éducateur, entre pédagogue et thérapeute, ce qui ne se déroule pas sans tension ni résistances. Ils rendent compte des évolutions de la conception de l’éducateur et des pratiques et savoirs qui le fondent. L’AIEJI est le lieu où circulent les conceptions issues du case-work, du group-work, de la psychologie sociale, de la sociométrie. Là, se confrontent une vision praticienne du métier d’éducateur, axée sur le groupe et une vision plus technicienne, basée sur la psychologie et les approches psychanalytiques, davantage tournée autour de la prise en charge individuelle. L’AIEJI s’est enfin insérée dans les nouvelles organisations internationales, réussissant à faire reconnaître l’utilité sociale des éducateurs, y compris dans les pays où ils n’existent pas. Ainsi, à la fin des années 1950, l’AIEJI obtient le statut consultatif auprès de l’UNESCO et devient un acteur de l’expertise internationale en matière de jeunesse inadaptée, ce qui correspond à l’extension de son audience.This article aims to address the history of the International Association of Workers for Maladjusted Children (IAWMC), which is an organisation often ignored in the field of history of transfers and circulations in the international specialised education. Yet this organisation, which was officially created in 1951 in the post-Second World War reconstruction period, quickly became a forum for exchange of experiences between éducateurs who were focused on the quest for models and methods. The IAWMC was created first during the beginning of the early Franco-German reconciliation, through annual meetings, especially initiated by French éducateurs. These existed in France from the early 1940s, working in the recently created institutions to support children and adolescents placed by the Justice and Child Care administration, and were looking for alter egos across borders. For example, many collective study tours structured such exchanges between éducateurs from different countries and shaped an organisation based in the Netherlands and France – where the first two Presidents, D. Q. R. Mulock-Houwer and Henri Joubrel, came from – and then in Belgium and Germany. In its own way, the IAWMC contributed towards debates on the role of the specialised éducateur in the institution, among pedagogues and therapists, which did not come without tension or resistance. The technical discussions of the association, held at conferences and annual workshops, reflected changes in the general design of the éducateur and in practices and knowledge upon which it was based. The IAWMC was a forum for clinical concepts from case-work and group-work, but also social psychology, sociometry and more generally methods inspired by the human and social sciences, which were expanding in international social work in the 1950s and 1960s. This was done through debates even within the international association, between a practitioner vision of the éducateur role, based on the group and whose leaders are French éducateurs, and a more technical vision based on psychology and psychoanalytic approaches more focused on personal interview and individual care. This contribution focuses finally on how IAWMC on the one hand was included in international organisations, e.g. UNESCO, and on the other hand forged the public recognition of the utility of éducateurs, even in the case of developing countries where they did not exist. Thus, in the late 1950s, the IAWMC was accredited consultative status by UNESCO and played an important role in the international expertise on maladjusted youth. This timing corresponds to the final extension of its audience, after decolonisation, to emerging countries and to what is termed the “Third World”.Mots-clés: education spécialiséeeducateursinternationalisationtravail socialjeunes inadaptés Notes1 L’UNESCO a été fondée en 1945. Il faudrait aussi inclure l’UNRRA (Administration des nations unies pour les secours et la reconstruction), l’UNICEF (Fonds international du secours à l’enfance), l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) ou encore le TICER (Conseil international provisoire pour le relèvement de l’éducation).2 Statuts de l’AIEJI, 1951 (ANMT, fonds Jacques Guyomarc’h 2002040 / 633).3 En témoigne le congrès de l’ISCHE à Genève en juin 2012, particulièrement: “Les communautés d’enfants victimes de la guerre. Transferts, diffusions, circulations de modèles XIXe-XXe siècles,” symposium coordonné par Mathias Gardet, Charles Heimberg et Martine Ruchat et “La fabrication internationale de la jeunesse inadaptée: circulations, traducteurs et formes de réception dans le champ de l’éducation surveillée au XXe siècle,” symposium coordonné par Joëlle Droux.4 Marie-Sylvie Dupont-Bouchat et Eric Pierre, eds., Enfants et justice au XIXe siècle. Essai d’histoire comparée de la protection de l’enfance 1820–1914, France, Belgique, Pays-Bas, Canada (Paris: PUF, 2001).5 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants. Une comparaison France-Québec (1912–1945) (Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2009).6 Pierre-Yves Saunier, “Les régimes circulatoires du domaine social 1800–1940: projets et ingénierie de la convergence et de la différence,” Genèses 71 (2008): 13.7 Dominique Marshall, “Dimensions transnationales et locales de l’histoire des droits des enfants. La Société des Nations et les cultures politiques canadiennes,” Genèses 71 (2008): 47–63; Joëlle Droux, “L’internationalisation de la protection de l’enfance: acteurs, concurrences et projets transnationaux (1900-1925),” Critique internationale, 52 (2011): 17–33.8 Symposium “Républiques, villages et communautés d’enfants: un idéal concerté de l’après Seconde Guerre mondiale,” congrès de l’AREF, Genève, septembre 2010.9 Lucia Ferretti et Louise Bienvenue, “Le Bureau international catholique de l’enfance: réseau et tribune pour les spécialistes québécois de l’enfance en difficulté (1947–1977),” Revue d’histoire de l’enfance “irrégulière” 12 (2010): 155–76.10 Lucia Ferretti et Louise Bienvenue, “Usages des références françaises et internationales dans le développement et la promotion d’une expertise québécoise: la psychoéducation (1940–1970),” in Violences juvéniles sous expertises XIXe-XXe siècles, ed. Aurore François, Veerle Massin et David Niget (Louvain: Presses Universitaires de Louvain, 2010), 131–56.11 Par exemple Maurice Capul, ed., L’invention de l’enfance inadaptée. L’exemple de Toulouse Saint-Simon (1950–1975) (Toulouse: Erès, 2011), 551.12 Voir: http://www.aieji.net.13 Samuel Boussion, Les éducateurs spécialisés et leur association professionnelle: l’ANEJI (Association nationale des éducateurs de jeunes inadaptés) de 1947 à 1967. Naissance et construction d’une profession sociale (thèse de doctorat d’histoire, Université d’Angers, 2007).14 Le fonds d’archives de l’AIEJI a été déposé par Daniel Dupied en 1998, en tant qu’ancien président de l’ANEJI et de l’AIEJI. Il est encore à l’heure actuelle vice-président de l’association. D’autres fonds déposés au CNAHES ont constitué nos matériaux: les fonds Jacques Guyomarc’h, ANEJI, Serge Ginger-Jacques Leblanc, Jacques Gauneau. Voir: http://www.cnahes.org.15 Pierre Gulphe, “Les unaccompanied children en Allemagne occupée,” Revue de l’Education surveillée 5 (1946): 3–12.16 Samuel Boussion et Mathias Gardet, eds., Les châteaux du social XIXe–XXe siècle (Paris: Beauchesne-Presses universitaires de Vincennes, 2010).17 Nagisa Mitsushima, “L’expertise criminologique au sein de la revue Pour l’enfance coupable (1935–1942): une expertise en action” (IIe session de l’école thématique Cnrs Pacte / Latts / Epfl, “Les nouvelles controverses de l’action publique,” 2010, http://www.pacte.cnrs.fr/IMG/html_Mitsushima_Action_publique_et_expertise.html, consulté en novembre 2010).18 Henry Van Etten, Journal d’un Quaker de notre temps (1893–1962) (Paris: éd. du Scorpion, 1962).19 Ce centre a été ouvert en 1948 et a été l’occasion de réaliser diverses rencontres internationales spécialisées pour des responsables de mouvements féminins, des journalistes de la presse de jeunesse, des assistantes sociales, des auteurs de manuels d’histoire et des professeurs d’histoire, des dirigeants de mouvements de jeunesse, etc. Présentation de la Session internationale sur les méthodes de pédagogie nouvelle appliquées à l’enfance en danger moral, 9 au 15 avril 1949 (ANMT, Fonds Jacques Guyomarc’h, 2002040 / C 660).20 Cette manne financière est liée aux crédits d’occupation. Une très grande autonomie est laissée aux acteurs sur le terrain, ce qui permet la réalisation d’expériences alors impossibles à mener en France. Emmanuelle Picard, “L’occupation française en Allemagne: un laboratoire d’expériences (1945–1963),” in Cadres de jeunesse et d’éducation populaire (1918–1971), ed. Denise Barriolade, Valérie Brousselle, Jean-Paul Egret et Françoise Tétard (Paris: La Documentation française, 2010).21 Journaliste d’origine juive, proche des milieux chrétiens progressistes et résistant, il est arrêté et déporté à Dachau en 1944. A sa libération, il milite pour l’amitié franco-allemande et est chargé de réorganiser les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire allemands dans la zone d’occupation française. Il participera à la création de l’OFAJ (Office franco-allemand de la jeunesse). Guy Saez, “Joseph Rovan,” in Dictionnaire biographique des militants XIXe–XXe siècle. De l’éducation populaire à l’action culturelle, ed. Geneviève Poujol et Madeleine Romer (Paris: L’Harmattan, 1996), 336.22 Samuel Boussion, “Les premiers éducateurs spécialisés: l’empreinte des chefs (années 1940–1950),” in Cadres de jeunesse, ed. Barriolade et al., 156–63.23 Elles se tiennent à Hambourg en 1957.24 Statuts de l’AIEJI, 1951 (ANMT, fonds Jacques Guyomarc’h 2002040 / 633).25 Henri Joubrel, “Un voyage d’études aux Pays-Bas,” Rééducation 18 (1949): 26.26 Ibid.27 Le personnage est d’une étonnante actualité, en témoignent les biographies, certes apologétiques: Rob Mulock Houwer, Ik heb mijn lied gezongen. Het leven van Daniël Quirijn Mulock Houwer (1903–1985) (Den Haag: Eigen beheer, 2010); Maurice Van Lieshout, Rebel without a Cause: Daan Mulock Houwer (1903–1985), vernieuwer van de jeugdzorg (Utrecht: Nederlands Jeugdinstitut, 2011). La totalité des sources biographiques étant en néerlandais, je remercie chaleureusement Christine Bakker d’en avoir traduit quelques extraits.28 Henri Joubrel, “La rencontre internationale de Bad-Dürckheim,” Rééducation 23 (1950): 101.29 Capable de raconter des histoires aux éducateurs lors d’une veillée ou d’adapter lors du même spectacle un test psychologique.30 Il parle néerlandais, allemand, anglais et français.31 L’ABEJI est l’Association belge des éducateurs de jeunes inadaptés, créée en 1950. Programme des rencontres internationales de jeunes, juillet 1955 (CNAHES, Fonds Jacques Gauneau). Les jeunes sont venus d’Allemagne, France, Hollande, Iles britanniques, Italie, Suisse et Etats-Unis, à la condition qu’ils appartiennent à un centre d’éducation dont au moins un éducateur ou le directeur est membre de l’association nationale adhérente de l’AIEJI.32 “Un Marly belge,” Liaisons 1 (1951): 13.33 Jeanine Guindon, “Le concept d’éducateur spécialisé,” Actes du congrès de l’AIEJI (Rome: AIEJI, 1960), 42.34 Henri Joubrel, “Le premier congrès international d'éducateurs de jeune inadaptés,” Rééducation 42/43 (1952): 76.35 Henri Joubrel, “Le deuxième congrès international des éducateurs de jeunes inadaptés,” Rééducation 58/59 (1954): 48.36 Jacques Gauneau, “Deuxième congrès de l’Association internationale des éducateurs de jeunes inadaptés, Bruxelles, 12 au 16 juillet 1954,” Liaisons 12 (1954): 9.37 Capul, L’invention de l’enfance inadaptée.38 Jean Ziolkowski, Les enfants de sable (Banville-sur-mer: L’Amitié par le livre, 1957), 130.39 Henri Joubrel, “L’Art, la Science, l’Amour,” Liaisons 12 (1954): 3–4.40 Joubrel, “Le deuxième congrès international,” 46.41 Jean Ughetto, “Applications du case work américain dans un foyer de semi-liberté française,” Comptes rendus du congrès d’Amersfoort, 1952 (ANMT fonds Jacques Guyomarc’h 2002040 / 664).42 Joubrel, “Le premier congrès,” 77.43 Comptes rendus du congrès d’Amersfoort, 15–19 septembre 1952 (ANMT fonds Jacques Guyomarc’h 2002040 / 664).44 Compte rendu du conseil d’administration de l’AIEJI, 16 avril 1957; lettre de Philip Van Praag à Henri Joubrel, 24 juillet 1957 (ANMT fonds Jacques Guyomarc’h 2002040 / 639).45 Entretien avec Jacques Gauneau, 13 mai 2001 (Samuel Boussion).46 Boussion, Les éducateurs spécialisés.47 Le Comité technique abrite ainsi des éducateurs férus d’innovation et de recherche: Maurice Capul, Serge Ginger, Gilles Gendreau, Paul Drillich, Jacques Selosse.48 Martine Ruchat, “Images, signes et sens de la communauté d’enfants: le Village Pestalozzi de Trogen,” symposium “Les communautés d’enfants victimes de la guerre. Transferts, diffusions, circulations de modèles XIXe–XXe siècle,” Genève, ISCHE, 2012.49 Rapport pour l’UNESCO, 1949 (ANMT fonds Jacques Guyomarc’h, 2002040 / 772).50 Valérie Lussi, “La pédagogie curative: un champ spécifique,” in Emergence des sciences de l’éducation en Suisse à la croisée de traditions académiques contrastées (fin du 19e–première moitié du 20e siècle), ed. Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly (Berne: Peter Lang, 2007), 265–89.51 Samuel Boussion, “Le self-government sous contrôle clinique ou quand les psys s’en mêlent (années 1940–1950),” symposium “Les communautés d’enfants victimes de la guerre. Transferts, diffusions, circulations de modèles XIXe–XXe siècle,” Genève, ISCHE, 2012.52 Samuel Boussion, “Le Hameau-école de l’Ile-de-France (1945–1964): République d’enfants modèle ou expérience déviante?,” symposium “Républiques, villages et communautés d’enfants: un idéal concerté de l’après Seconde Guerre mondiale,” congrès de l’AREF, Genève, 2010.53 Henri Joubrel, lettre à Louis François, 15 décembre 1949 (ANMT fonds Jacques Guyomarc’h, 2002040 / 772).54 Secrétariat de Thérèse Brosse, lettre à Henri Joubrel, 1er mars 1950 (ANMT, fonds AIEJI 2002062 / 273).55 Statut consultatif catégorie B.56 Henri Joubrel, lettres à Jacques Guyomarc’h, 9 mai 1954; 23 juin 1955 (ANMT, fonds Jacques Guyomarc’h 2002040 / 773).57 W. D. Wall intervient aussi dans le cadre des conférences de Méridien en 1955, sur les services psychologiques à l’école en Europe, travail entamé depuis 1952 dans le cadre de l’Institut d’éducation de l’UNESCO à Hambourg.58 Henri Joubrel, lettre à Jacques Guyomarc’h, 12 octobre 1954 (ANMT fonds Jacques Guyomarc’h 2002040 / 773).59 Rapport sur son séjour en Suisse, octobre 1954 (ANMT fonds Jacques Guyomarc’h 2002040 / 694).60 Françoise Tétard, “Le phénomène ‘blouson noir’ en France, fin des années 1950–début des années 1960,” in Révolte et société, ed. Fabienne Gambrelle, Michel Trebitsch et. al. (Paris: Publications de la Sorbonne, 1989), 205–14.61 Allusion récurrente au film Rebel Without a Cause, sorti en 1955. Henri Joubrel, Jeunesse en danger (Paris: Fayard, 1960), 11.62 AIEJI, Les méthodes de rééducation dans les internats pour jeunes socialement inadaptés: étude effectuée dans quelques établissements de France, Pays-Bas et Suisse (Paris: éd. AIEJI, 1960).63 Chloé Maurel, Histoire de l’UNESCO. Les trente premières années. 1945–1974 (Paris: L’Harmattan, 2010), 267–74.64 “Le 6e congrès de l’AIEJI et les pays en voie de développement,” Liaisons 49 (1964): 5.
Referência(s)