Artigo Acesso aberto

Entrevue avec Michel van Schendel

1986; Erudit Consortium; Volume: 11; Issue: 2 Linguagem: Francês

10.7202/200553ar

ISSN

1705-933X

Autores

Jacques Allard, Chantal de Grandpré,

Tópico(s)

Psychoanalysis and Psychopathology Research

Resumo

V. & I.(l) 1 -La question des origines est importante pour beaucoup ici au Québec; il y a des gens qui te croient juif, ou qui te croient belge alors que tu es né en France de parents belges.Quelle est l'importance pour toi de cette question des origines?M. v. Schendel 2 -C'est une question immense qui en même temps est très étroite.V. & 1.(1) -Tu es content de ton origine flamande, en fait.Tu la chantes et tu la privilégies quand tu le veux, quand tu le peux.M. v. Schendel -Je ne sais pas si elle est flamande d'ailleurs, je dirais qu'elle est cosmopolite.Mon grand-père était fils de hollandais.Mon père a immigré en France; il a vécu dans le pays flamand mais il a immigré en France après la guerre qu'il avait faite dans l'armée belge.Il a passé tout le reste de sa vie en France.Et c'est là que je suis né et c'est là que je suis revenu après la Deuxième Guerre mondiale.C'est pas une origine flamande.Si c'est une origine flamande, c'est aussi d'autres origines et il y a un rapport très étroit au fait que je suis devenu français et que j'ai choisi de l'être.Et pour moi c'était d'ailleurs très important au plan anecdotique, très important cette conquête à l'époque, parce que j'avais la Belgique en horreur.Je l'avais en horreur, du moins était-ce peut-être le milieu social dans lequel je vivais, un milieu... disons la grande bourgeoisie du XIX e siècle, ruinée, conservant une morale très étroite, et une moralité aussi très étroite... un horizon social physiquement très fermé.Quand j'étais petit, l'interdiction déjouer avec les enfants du peuple... Mais à travers tout ça, et surtout pendant la guerre, l'expérience d'une très grande misère, une très grande misère physique et sociale.Cette contradiction, elle, a beaucoup compté, cette contradiction de l'horizon social en amont, je crois qu'elle a fait ce que je suis devenu après la guerre.Mais il fallait d'abord, dans un premier temps, que je quitte la Belgique.Si j'étais resté là, peut-être que je n'aurais pas eu le courage de quitter aussi radicalement ce milieu social.Si j'en juge par ceux de mes frères qui sont restés, eux n'ont pas du tout coupé les ponts, bien au contraire, ils les ont raffermis.V. & I. (1) -Dans ce milieu social, quelle place fais-tu à tes parents et ton rapport à ton père et à ta mère?Est-ce que ta réaction très vive était celle de qui a vingt ans... ?M. v. Schendel -C'était même avant l'âge de vingt ans.C'était une réaction de l'adolescence et une réaction à la guerre aussi.Mais, bien sûr, ça passe également par des liens familiaux puisque l'horizon social étroit tendait à être borné par la famille ou par un appareil qui dépend très étroitement dans de telles conditions de l'appareil familial, c'est-à-dire l'appareil scolaire, le collège des jésuites.Heureusement d'ailleurs -je suis athée de gauche -je ne regrette pas d'avoir passé dix ans chez les jésuites.Ils m'ont appris à penser.Ils ont été une première forme de libération pour moi.V. & I.(2) 3 -Je trouve cela intéressant dans la mesure où le Québec a été aussi beaucoup dominé par les jésuites.Est-ce que vous n'avez pas retrouvé ici des choses qui vous étaient familières d'une certaine manière?M. v. Schendel -C'est possible, oui.Je ne me suis jamais trop posé la question.Oui, mais en même temps non, parce que... Je ne sais pas.Évidemment, la question n'est même pas hypothétique, étant donné que je ne suis pas né ici, je n'ai pas grandi ici, je ne sais pas si né ici, ayant vécu toute ma vie ici je serais, j'aurais trouvé le même horizon social en amont et je ne sais pas... Enfin je suis un Européen, ça compte.À l'origine je ne suis pas un Québécois et je suis marqué par une expérience qui est l'expérience de notre siècle.Parfois, je me sens un petit peu à l'étroit ici parce que je ne sens pas suffisamment cette imprégnation de l'expérience du siècle ici, de notre siècle.L'expérience de notre siècle, elle est en ebullition tragique pendant la guerre.La guerre résume le siècle, la Deuxième Guerre mondiale, et elle continue de le résumer après.On ne peut pas comprendre ce qui se passe aujourd'hui si on ne pense pas à ça.Il y a aussi autre chose.Il y a des jésuites, d'accord !, pour essayer de répondre à votre question mais il y a l'après-guerre et l'aprèsguerre fut une expérience de libération personnelle qui bientôt tend à rejoindre une expérience qui m'apparaissait telle à l'époque, d'une libération politique et sociale.Donc une orientation prise du côté du parti communiste.Pourquoi?parce que c'était à l'époque la seule force organisée qui permettait de relancer cette lutte dont j'avais besoin personnellement.Et mon expérience individuelle me semblait coïncider, surtout, de plus en plus, me parut coïncider, avec l'expérience collective de l'époque.Ce que j'avais vécu dans ma jeune vie recoupait, ce n'est pas métaphorique ou alors c'est la métaphore blanche, c'est une métaphore qui est le mouvement même de cette vie, cette expérience bouleversée d'époque, que j'apprenais à découvrir en même temps dans ce qu'elle avait de plus bouleversé pour les pays d'Europe occidentale, c'était la classe ouvrière.V. & 1.(1) -Mais comment as-tu vécu la guerre, tu as dix ans quand elle se déclenche en 39 et jusqu'à 46 tu restes à Bruxelles.Comment l'as-tu vécue?M. v. Schendel -J'ai vécu toute la guerre à Bruxelles, très mal, très misérablement.V. & 1.(1) -J'aimerais que tu le rappelles sommairement.Où es-tu?Tu es au collège des jésuites, tu es pensionnaire loin de tes parents?M. v. Schendel -Non.Nous sommes à l'époque très pauvres.Et comme les jésuites reconnaissent «les vertus sociales de la bonne éducation», ils avaient accepté de prendre les quatre fils gratuitement.Heureusement, en un sens.Mais dans un autre sens c'était, malgré leur intention, une source d'humiliation à cause des contacts avec les fils de familles riches.Pendant la guerre, alors là, c'est très très physique, j'ai écrit tout un texte là-dessus, c'est donc une sorte de roman autobiographique.J'en ai publié la première partie dans Voix et images du pays en 71.C'est une expérience très physique.Immédiatement physique: c'est la faim et le froid.Nous n'avions pratiquement pas de quoi manger et n'avions pas non plus de quoi nous chauffer.Les hivers, en particulier l'hiver 41 et l'hiver 43, avaient été extrêmement durs.Des hivers en Europe où la température descend à moins 20 ce n'est pas fréquent.Et il n'y avait pas de charbon.Il y avait les tickets de rationnement pour se procurer un peu de charbon et se procurer un peu de nourriture.Mais ma mère qui était séparée de mon père était beaucoup trop pauvre pour pouvoir émarger au marché noir comme le faisaient -et c'est là que nous connaissions les expériences d'humiliation -les fils des familles riches que nous fréquentions au collège et j'étais très religieux à l'époque, très croyant.J'ai radicalement remis ça en question, après la guerre d'ailleurs.Il y a des coïncidences qui sont beaucoup plus que des coïncidences.J'étais très croyant, je servais tous les matins à la messe, à huit heures du matin et après la messe, après la communion, je déballais quelques petites tartines très minces de pain qui n'était pas du pain, qui était fait on ne savait pas avec quoi, un minimum de farine qui ne parvenait pas à tenir et sur lequel il y avait très peu de margarine.Je déballais ça et mes collègues, eux, arrivaient avec de grandes tartines, de grosses tartines de pain blanc.Pendant la guerre c'était proprement scandaleux, scandaleux pour tous ceux qui n'avaient pas de quoi manger.Et il y avait des couches épaisses de beurre... Ça, c'est une expérience humiliante surtout qu'elle était relevée sous mon nez, avec insistance.J'ai eu ça en horreur.Ma mère m'a obligé à y rester quand même trois ans.Une fois il y avait un camp scout et chacun devait apporter de quoi alimenter la nourriture collective et alors ma mère avait fait ce qu'elle pouvait mais c'était pas grand'chose, j'apportais donc beaucoup moins que les autres.Le chef scout m'avait fait venir et m'avait dit: tu n'as pas honte?... Tu comprends, tu ne le souhaites pas.Alors le froid, la faim.Et la maladie: j'ai été assez gravement malade pendant la guerre surtout que j'étais en pleine croissance.J'ai eu une pleurésie.À l'époque il n'y avait pratiquement pas de médicaments, on n'avait pas découvert la pénicilline; on l'avait découverte mais enfin elle n'était pas commercialisée dans les pays occupés par les nazis.Et puis il y avait aussi l'expérience... ce n'était pas la soupe populaire, c'était la soupe populaire organisée par les nazis où servaient les dames patronnesses qui étaient les anciennes camarades, et là ça se redoublait aussi, les anciennes camarades de classe, dans tous les sens du terme, de ma mère et qui étaient parfois aussi les mères de certains de mes camarades de classe.Ce genre de choses, ça marque évidemment beaucoup et moi ce que ça m'a appris... et je m'étonne que l'expérience n'ait pas été la même pour mes autres frères qui cependant ont connu la même chose, auraient pu en tirer la même leçon.Eux, ça les a conduit à se ranger.Moi ça m'a conduit... pendant la guerre, je me rappelle très bien, c'était comme si je voyais le monde se déchirer physiquement.Se déchirer par ce qu'on apprenait par les nouvelles, par des rafles dans la rue.Se déchirer donc de cette violence mais aussi se déchirer d'une violence sociale considérablement aggravée parce que plus nue, plus physiquement marquée qu'avant la guerre.C'était une contradiction vivante dont j'ai essayé par la suite, du moins c'est comme ça aujourd'hui que je le vois (et depuis longtemps), de réfléchir le dynamisme.V. & 1.(1) -Pour toute cette époque de la formation et de la guerre, est-ce que déjà il y avait chez toi un goût et une propension à l'écriture?M. v. Schendel -Oui.V. & I. (1) -De quelle manière?Est-ce que tu as eu des professeurs qui t'incitaient à écrire?M. v. Schendel --C'est d'abord arrivé en 43 ou 44, j'avais 14 ou 15 ans.Je suivais un cours facultatif de musique, d'histoire de la musique.Le professeur, c'était un musicien, -un très bon pianiste, il jouait du Fauré -mais qui n'avait qu'un piano désaccordé, enfin il faisait ce qu'il pouvait.Il nous apprenait le solfège et il nous apprenait aussi des rudiments d'histoire de la musique et, il se mettait au piano parfois pour souligner son enseignement.Donc, ce n'était pas vraiment du jeu, c'était le jeu exemplaire, si je peux dire, c'était l'exemplarisation plutôt.Et une fois il avait joué le «choral et fugue» de Bach et ça m'avait complètement bouleversé, mais vraiment.Il est vrai que déjà à cette époque, dans ma famille du côté de mes grands-parents et de ma tante qui était pianiste elle-même, il y avait un accent comme dans toute bonne vieille famille bourgeoise, et plus aristocratique que bourgeoise, un accent mis sur la musique.Donc, j'y étais préparé à ce bouleversement.Et ce bouleversement... j'étais alors rentré complètement fou à la maison et je m'étais mis à écrire un texte... faudrait voir, pas ici en tout cas... après la mort de mon père j'ai retrouvé certaines de mes affaires quand j'étais enfant et adolescent... j'ai retrouvé ce texte... bof c'était plus qu'ingénu, c'était peut-être un peu stupide, mais peu importe, c'est là vraiment que m'est venu le goût d'écrire et plus tard aussi mais ça c'est juste à la fin de la guerre, en 44-45.J'ai eu la chance d'avoir un professeur qui m'aimait beaucoup, un jésuite, passionné de la Révolution française, on trouve de tout chez les jésuites, et qui m'a donné le goût de l'histoire.J'étais passionné d'histoire, je lisais énormément.Tout ce que je lisais, c'était de l'histoire.Et aussi qui m'a fait découvrir la poésie.Il m'a poussé dans ce sens-là et à la fin de l'année j'avais fait d'ailleurs une conférence sur les romantiques anglais.V. & 1.(1) -Donc, tu lisais les romantiques anglais à 14 ans.M. v. Schendel -En traduction.V. & 1.(1) -Est-ce qu'il y avait d'autres écrivains importants pour toi dans ton adolescence?M. v. Schendel -Oui.Des romantiques anglais, il y avait surtout Shelley et Keats.Assez peu Byron... C'est une préférence que j'ai continuée d'ailleurs.Mais aussi les romantiques et les symbolistes français.Baudelaire.Rimbaud très peu.Rimbaud, on avait tendance à le mettre à l'écart.V. & 1.(

Referência(s)
Altmetric
PlumX