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Un nœud gordien chez Balzac: le nain bossu de Modeste Mignon

2007; University of Nebraska Press; Volume: 32; Issue: 1 Linguagem: Francês

10.1353/frf.2008.0008

1534-1836

Dominique Laporte,

French Literature and Poetry

Un nœud gordien chez Balzac:le nain bossu de Modeste Mignon Dominique Laporte Le personnage de Jean Butscha dans Modeste Mignon n'a, jusqu'ici, pratiquement pas retenu l'attention de la critique balzacienne, malgré le regain d'intérêt actuel pour le roman.1 Bâtard orphelin, nain bossu et soupirant sans espoir de Modeste, Butscha est affligé d'une disgrâce qui, de prime abord, le cantonne dans les marges du roman, comme des études balzaciennes. Sous son dehors ingrat, Butscha est toutefois pourvu d'aptitudes au travail et de vertus qui font contrepoids à ses malheurs et lui assignent d'emblée une fonction plus déterminante qu'elle ne le paraît dans le schéma actanciel du roman, où le mariage final sanctionne en apparence la quête d'Ernest de La Brière: Sujet _> Objet (Modeste), plutôt que celle des autres prétendants (Canalis, le duc d'Hérouville) ou la sienne propre (aimer Modeste en solitaire). De par son statut de premier clerc, que lui vaut son labeur chez un greffier, il s'attire en effet la considération de Modeste et d'autres personnages. De là l'une des périphrases oxymoriques par lesquelles le désigne le narrateur: "grotesque premier clerc."2 Elle recouvre l'incompatibilité apparente entre son nanisme, grotesque par nature, et son élévation intellectuelle et spirituelle, suivant l'acception historique et littéraire originelle de clerc: homme de culture et homme de foi.3 Cette contradiction se traduit également par des mentions et des citations littéraires paraphrasées qui posent Butscha en topos mi-grotesque, mi-sublime: le "nain mystérieux" (MM 472) à la rose prêtant son appui à Isabelle Vere dans Le Nain noir de Walter Scott (cf. MM 1339, 1390); la réplique de Ruy Blas: "[. . .] ver de terre amoureux d'une étoile" (cf. MM 573, 1391), et, par extension, le mélange hugolien des genres; les prologues de Gargantua et du Tiers Livre, où les créatures monstrueuses hantant l'imaginaire populaire sont comparées à des bouteilles recélant des philtres et des liniments précieux (cf. MM [End Page 103] 568, 1390); La Belle et la Bête (MM 571–572); ou encore, Trigaudin, le clerc bossu et intrigant de La Maison en loterie, mentionné dans l'épisode théâtralisé où Butscha tire les vers du nez à Canalis dans l'intérêt de Modeste, après l'avoir mis dans la confidence des secrets inavouables du Havre (cf. MM 667 et suiv., 1416). À cet égard, Butscha correspond, non seulement au type de valet (cf. Scapin, Arlequin, Figaro . . .) que trace en pointillé l'intertexte théâtral omniprésent du roman (Shakespeare, Molière, Marivaux, Beaumarchais, etc.), mais aussi à l'archétype des nains, "génies de la terre et du sol,"4 suivant l'imaginaire collectif. Initiés aux secrets des arrière-pensées et des alcôves, où leur petite taille leur permet de se glisser, ils sont des êtres de mystère et leurs paroles aiguës reflètent la clairvoyance; elles pénètrent comme des dards dans des consciences trop assurées.5 Si, sous cet aspect, Butscha crève Canalis comme une baudruche lorsqu'ils font leur assaut de piques, ce qui le définit foncièrement réside néanmoins dans sa capacité de dialoguer sans détour avec les autres personnages et d'employer ses ressources personnelles pour servir les intérêts respectifs de Modeste et d'Ernest: choisir le bon parti, pour l'une; être aimé, pour l'autre. Un "bon génie" (MM 571) de conte et un valet de comédie en gros, dont la fonction d'adjuvant le situe à la jonction de la culture savante et de la culture populaire, à plus forte raison dans l'épisode carnavalesque déjà mentionné où, dans son "rôle du Trigaudin," il simule l'ivresse auprès de Canalis pour percer ses véritables intentions à l'endroit de Modeste. D'où sa disposition à servir à tous égards de relais, comme le symbolisent son âme, enfermée par métonymie dans "sa cabane de boue" (MM 472), son offre d'être le...