Pensée morale et transformations génériques dans <i>Paul et Virginie</i>
2008; University of Toronto Press; Volume: 21; Issue: 2 Linguagem: Francês
10.1353/ecf.0.0048
ISSN1911-0243
Autores Tópico(s)Diverse Cultural and Historical Studies
ResumoPensée morale et transformations génériques dans Paul et Virginie Youmna Charara (bio) Les œuvres fictionnelles de Bernardin de Saint-Pierre sont toutes expressément mises au service de vérités philosophiques ou morales. Cette utilisation de la fiction à des fins non littéraires peut paraître convenue, historiquement datée, incompatible avec la sensibilité anti-didactique du lecteur moderne. Elle produit pourtant des effets proprement littéraires, qui éclairent la composition de l'œuvre de Bernardin. D'une part, la fiction pédagogique entre en relation avec des fictions du même type, ou avec des textes d'idées; Paul et Virginie, notamment, est redevable d'une bonne part de sa cohérence idéologique aux Études de la nature, véritable matrice intellectuelle; le roman garde la trace d'une pensée spéculative qui s'est élaborée ailleurs et qu'il s'emploie à expérimenter, ajuster, ou remodeler. D'autre part, l'intervention d'un intertexte philosophique modifie les structures de la fiction pastorale dont hérite Paul et Virginie, et apparaît comme le moyen d'une modernisation du genre. Il vaut la peine de relire Paul et Virginie dans la perspective morale qui a favorisé sa genèse, afin de mieux comprendre la pensée à l'œuvre dans le roman, et le processus de renouvellement générique qu'elle détermine. Bernardin de Saint-Pierre et la fable Bernardin de Saint-Pierre a exposé sa théorie de la « fiction morale » dans l'« Avant-propos » de la Chaumière indienne, conte [End Page 283] d'une centaine de pages dont le fonctionnement est assimilé à celui de la fable, ou de l'allégorie. Ce texte préfaciel construit un cadre herméneutique qui valorise simultanément la « lumière » de la vérité et l'« obscurité » dans laquelle le récit l'enveloppe; il contribue à une meilleure compréhension de l'apologue qu'est à certains égards Paul et Virginie. L'auteur emprunte à La Fontaine la référence à « Peau d'Âne » et la justification des fables par leur efficacité rhétorique: rien de tel qu'une histoire pour rendre le public attentif à la vérité. Il se distingue toutefois du fabuliste classique en affirmant le lien entre le genre de la fable et le contexte historique de liberté politique. Cette purification morale du genre, condition de sa promotion littéraire, s'oppose à toute une tradition qui explique le travestissement allégorique par la nécessité de déguiser la vérité aux yeux des tyrans. Les inventeurs de fables sont les peuples sauvages et les peuples libres-tels les Anglais-qui, par amour de la vérité, la parent des grâces de leur imagination. Il importait sans doute d'en finir avec le patronage d'Ésope, le fabuliste esclave, et de postuler une homogénéité de l'énoncé vertueux et du contexte de l'énonciation. À la causalité historique, dégradante, Bernardin de Saint-Pierre substitue une causalité psychologique, que les maîtres de rhétorique ne désavoueraient pas: « l'âme s'ouvre par degrés à la vérité »; « elle n'en admet que ce qu'elle en peut supporter » et « s'entoure de fables » pour se protéger de l'éclat d'une idée trop neuve.1 Occulter la vérité, ce n'est pas ménager la censure du pouvoir royal; c'est composer avec la censure intérieure, et reconnaître les résistances psychologiques toutes naturelles du lecteur ordinaire. Bernardin de Saint-Pierre ajoute également une justification cognitive de la fable (la nécessaire incarnation sensible des vérités abstraites) et une justification esthétique (la variété et la beauté de la fiction). L'auteur de la fable a souhaité y inscrire une vérité; mais le dispositif de l'allégorie laisse aux récepteurs la possibilité de produire leurs propres interprétations: « La fable est le voile de la vérité » (OC, 8:277). C'est dire que l'obscurité est une composante essentielle du texte, au même titre que la signification précieuse qu'elle dissimule. Au lecteur peu accoutumé à une lumière trop [End Page...
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