Notes sur trois avatars de la forme brève camusienne: La maxime, la formule et l'aphorisme
2004; Johns Hopkins University Press; Volume: 44; Issue: 4 Linguagem: Francês
10.1353/esp.2010.0426
ISSN1931-0234
Autores Tópico(s)Linguistics and Discourse Analysis
ResumoNotes sur trois avatars de la forme brève camusienne: la maxime, la formule et l'aphorisme Linda Rasoamanana Il y a ... dans tout être qui s'exprime, la nostalgie de l'unité profonde de l'univers, la nostalgie de la parole qui résumerait tout (quelque chose comme «Aum», la syllabe sacrée des Hindous), du verbe enfin qui illumine1. POUR CAMUS, LE LANGAGE TRANSCENDANT se révèle décevant : «[L]e langage passe l'individu et sa terrible inefficacité est le signe de sa transcendance»2. Du langage fallacieux, la parole brève peut-elle limiter le pouvoir néfaste? Deux déclarations de l'auteur, distantes d'une dizaine d'années, cristallisent en tout cas une aspiration à la brièveté. «Notre tâche d'homme est de trouver les quelques formules qui apaiseront l'angoisse infinie des âmes libres. Nous avons à recoudre ce qui est déchiré»3, déclaration qui semble annoncer «Il n'est pas d'être ... qui, à partir d'un niveau élémentaire de conscience, ne s'épuise à chercher les formules et les attitudes qui donneraient à son existence l'unité qui lui manque»4. Face au réel, l'homme a besoin de l'artiste, ce dernier étant le seul à pouvoir lui donner des armes verbales susceptibles de percer le mutisme et l'opacité du monde. Ces armes seraient-elles les formes brèves? Encore faudrait-il pouvoir distinguer ces formes, ce qui n'est pas évident: «Le foisonnement des termes servant à qualifier les formes brèves et sentencieuses ... paraît ... témoigner du caractère touffu, complexe de l'histoire des formes et des genres gnomiques, les termes se recoupant plus ou moins pour qualifier des objets syntactico-sémantiques et des réalités pragmatiques, des actes communicationnels pris plus ou moins spécifiquement dans un contexte historicoculturel »5. Rappelons donc simplement l'étymologie des trois formes qui nous intéressent. La maxime, c'est la «maxima sententia, [le] maximum sémantique dans un minimum lexico-syntaxique»6. La formule, elle, n'est qu'une petite forme, un bref énoncé. Quant à l'aphorisme, il «vient par le latin aphorismus du grec aphorismos, dérivé du verbe aphorizein qui signifie séparer par une limite, à partir (ap-) de horos, la limite, la borne; horos d'où nous vient également l'horizon, horizon (kuklos), (cercle) qui borne (la vue). Aphorizein veut donc dire etymologiquement délimiter, circonscrire, d'où, par abstraction, définir»7. Nous étudierons ainsi les trois énoncés que sont la maxime, la formule et l'aphorisme selon le point de vue même de Camus qui Vol. XLIV, No. 4 37 L'Esprit Créateur a cherché à les définir et à les pratiquer. Si la maxime semble à notre auteur pédante et stérile, la fonctionnalité de la formule reste tentante dans la mesure où elle peut s'imposer en aphorisme serein. la condamnation de la maxime moraliste Dans sa présentation des Maximes de Chamfort, Camus égratigne La Rochefoucauld, le taxant de «moraliste»: Qu'est-ce qu'un moraliste ...? Disons seulement que c'est un homme qui a la passion du cœur humain. Mais qu'est-ce que le cœur humain? Cela est bien difficile à savoir, on peut seulement imaginer que c'est ce qu'il y a de moins général au monde. C'est pourquoi, et malgré les apparences, il est bien difficile d'apprendre quelque chose sur la conduite des hommes en lisant les maximes de La Rochefoucauld. Ce bel équilibre dans la phrase8, ces antithèses calculées, cet amour-propre érigé en raison universelle, cela est bien loin des replis et des caprices qui font l'expérience d'un homme. Je donnerais volontiers tout le livre des Maximes pour une phrase heureuse de La Princesse de Clèves et pour deux ou trois petits faits vrais comme savait les collectionner Stendhal9. La maxime par son retentissement universel détruirait la spécificité même de la nature humaine. Camus s'en explique en évoquant Le Rouge et le noir: «'On passe souvent de l'amour à l'ambition mais on ne revient guère de l'ambition à l'amour...
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