Le Formulaire de Tréguier revisité: les Carmina Trecorensia et l'Ars dictaminis
1994; PERSEE Program; Volume: 52; Issue: 1 Linguagem: Francês
10.3406/alma.1994.1663
ISSN0994-8090
Autores ResumoOn trouve dans le formulaire dit « de Tréguier » ', recueil de modèles de lettres compilé en Bretagne au début du XIVe siècle 2, de bien curieux exemples à imiter.Au milieu de modèles sérieux destinés à satisfaire l'utilitarisme moutonnier du fonctionnaire ou de l'étudiant, dont la seule coquetterie est l'usage du cursus en fin de proposition, on remarque plusieurs modèles de lettres en « prose rimée » : c'est ainsi que l'on nomme la prose, très utilisée à partir du XIe siècle, dont les clausules, rythmées ou non, riment entre elles selon des schémas stéréotypés 3. Dans les pièces 153 et 155 du formulaire, on constate effectivement le retour régulier de certaines rimes, selon le schéma abab dans la lettre 153, AAABBB dans la lettre 155.Le rythme des clausules est également très régulier sans que l'on puisse pourtant observer de cursus : alternance de finales proparoxytones et paroxytones dans le pre¬ mier texte, usage presque systématique de finales proparoxytones dans le second.C'est qu'en réalité ces deux textes ne sont pas de la prose rimée, mais bien des proses rimées : il s'agit de poèmes rythmiques, jusqu'ici passés inaperçus parce que copiés en con¬ tinu dans le seul manuscrit connu et transcrits comme de la prose dans la seule édition disponible, publiée par R. Prigent en 1923, Ces pièces ne sont par conséquent répertoriées dans aucun recueil d 'initia ni utilisées par les spécialistes de la poésie latine médié 1 .Ed. R. PrîGENT, Le Formulaire de Tréguier dans Mémoires de la Société d'Histoire et d 'Archéologie de Bretagne 4, 2 (1923) pp. 275-413 (éd.pp.321 401) d'après le manuscrit Paris, BN nal 426 (début du XIVe siècle) 21 ff. 2. Ce recueil de 157 pièces a sans doute été compilé vers 1320 ; le seul évê¬ que de Tréguier qu'il cite est Geoffroi Toumemine, en fonctions de 1297 à 13 16 ou 17 (R.Prigent pp.282-5).3. Cf.K. Polheim, Die lateinische Reimprosa, Berlin 1925, chap.XII.La présente étude s'inscrit dans une recherche sur les théories et usages de la prose rimée au cours du moyen âge central.206 ANNE-MARIE TURCAN-VERKERK vale.Nous donnons donc une nouvelle édition de ces textes en mettant en évidence leur structure rythmique.Du fait de la mise en page de la poésie rythmique au moyen âge 4, il est possible que de nombreux textes en vers se cachent encore ainsi pour nos yeux modernes sous l'apparence de la prose d'art.* * * Rétablissement du texte À la notion d'établissement de texte, il faudrait substituer dans notre cas celle de « rétablissement de texte ».Pour ce faire, nous userons de trois instruments, les critiques codicologique, paléo¬ graphique et verbale.Cette opération concerne le détail des poè¬ mes, souvent malmenés par R.Prigent, mais aussi le recueil en tant que tel, qui doit être analysé comme un tout.En effet, la redé¬ couverte des pièces poétiques permet de percevoir, dans cet ensemble désordonné qu'est le Formulaire de Tréguier, une struc¬ ture secondaire ; elle le resitue, en outre, dans un ensemble de for¬ mulaires contemporains liés aux écoles orléanaises. Recueil mixteCes deux pièces en vers rythmiques font partie de ce que R. Prigent a appelé les « pièces d'imagination » du Fonnulaire de Tréguier.Il s'agit d'une prose adressée à saint Jean-Baptiste (n°151), repérée depuis longtemps 5, et de six lettres composées suivant tous les canons du genre épistolaire, mais qui se distin¬ guent de prime abord par leur sujet ; le n°152 est une prière 4. Cf.P. Bourgain, Qu'est-ce qu'un vers au moyen âge ?dans BEC 147 (1989) pp. 231-82(pp. 254-266).L'auteur montre qu'une copie en continu ne témoigne pas nécessairement d'une confusion avec de la prose, mais que la ponctuation marque souvent la structure rythmique ou, plus souvent, strophique des poèmes.Depuis le moment où le présent article a été remis à ALMA est parue dans FMS 27 (1993, p. 167-219) une importante étude de F. Ohly analysant la critique de la forme des textes comme forme de la critique textuelle ( Textkritik als Formkì-itik) ; y est posé en particulier le problème des textes poétiques copiés comme de la prose. 5. RH 3 n°24690.Ed. dans AH 45 n°82 pp.66 et 46 n°232, p. 270 d'après le Formulaire de Tréguier : aucun autre témoin n'est signalé à ce jour.LE FORMULAIRE DE TRÉGUIER REVISITÉ 207adressée par les arbres au vent du nord, le n°1 53 une chanson de carnaval, le n°154 un appel printanier du rossignol, le n°155 une lettre peu conventionnelle d'un maître à ses élèves, le n°156 une commande de victuailles de la part de matrones gaillardes, le n°1 57 la réponse du marchand aux matrones.Toutes ces pièces ne peuvent pas être mises sur le même plan, à cause de leur fonc¬ tion, mais d'abord à cause des circonstances et des modalités de la copie.Ce recueil forme un petit manuscrit (environ 132 x 155 mm.) d'un par¬ chemin épais, aux bords inégaux (les feuillets souvent ne sont pas recoupés), parfois de remploi (cf.f. llv), sombre, jaune, sale, aux marges très petites (10 mm.max.) et remplies d'annotations, qui a tout du cahier, du vademe¬ cum.C'est plus que vraisemblablement la compilation d'un étudiant 6, mais il est difficile de savoir si ses éléments sont originaux 7. Le manuscrit n'est pas l'oeuvre d'un seul copiste 8 ; la première main (Ml) a copié les f. 1-6V, 8-19 ; la seconde main (M2) a annoté tout le manuscrit, et copié, en respec¬ tant la mise en page de Ml 9, les f. 7r"v et 19-2.Son intervention est certai¬ nement seconde dans le temps, car le f. 7 a été ajouté postérieurement à la copie de Ml : moins large que les autres feuillets (113 mm.ca), il est isolé et cousu au milieu du premier cahier (6-1 [= f. 7]-6).Il a été copié séparé¬ ment : le copiste, au lieu de retourner son feuillet latéralement pour en copier le verso, l'a retourné verticalement, intervertissant ainsi le haut et le bas, ce qu'il n'a pu faire pour la fin du manuscrit, dont les derniers feuillets (le second cahier, un quaternion, n'avait pas été entièrement utilisé par Ml) étaient sans doute déjà pliés.Au moment de l'insérer dans le manuscrit, M2 a noté dans la marge supérieure du f. 7 : dictamina sunt ea que sunt scripta in hoc libro.L'ensemble était sans doute relié au moment des ajouts de M2, car on lit dans la marge supérieure gauche de l'actuel f. 8V un VII qui semble bien être une foliotation '°.M2 a également ajouté à la fin du f. 13 la lettre 135, f. 18 au moins les lettres 50, 51 et 31.Cependant, on remarque dans les 6. Cf.Prigent pp.291-293.7. Prigent (p.289) montre que le copiste n'est pas l'auteur des formules.8. Prigent (pp.287-9) attribue la copie de toutes les formules au même copiste, ce qui, au vu du manuscrit, ne semble guère défendable : il fonde sa démonstration sur le tracé particulier des g, mais en expérimente lui-même les limites quand (p. 292)il est tenté d'attribuer à une seconde main l' avant-dernière lettre du formulaire (f. 2), alors qu'elle présente le g fatidique... 9. L'espace réservé au début de chaque formule n'est pas destiné, comme le croyait Prigent (p.286), à la copie d'une rubrique, mais à une lettre ornée : les lettres d'attente sont bien visibles ; la lettre ornée a parfois été dessinée par M2 dans les derniers feuillets du manuscrit (f.20-2).10.Prigent semble considérer qu'il s'agissait au départ d'un bifolium inté¬ rieur (p.277) : pour toutes les raisons exposées plus haut, cela ne me semble pas vraisemblable, 208 ANNE-MARIE TURCAN VERKERKparties copiées par M2 des interventions de Ml dans un module plus petit (par exemple à la fin du f.T) : les deux phases de copie se sont donc suivies de près.
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