Le principe de précaution
2000; Commentaire SA; Volume: Numéro 90; Issue: 2 Linguagem: Francês
10.3917/comm.090.0365
ISSN2272-8988
Autores Tópico(s)Environmental and Social Impact Assessments
ResumoLa première est l'importance pratique de problèmes que posent certains risques, dont quelques exemples ont été évoqués ci-dessus.Problèmes qui ont plusieurs fois été qualifiés de « crises » (quand ce n'est pas de « scandales »), et qui par là traduisent l'inadéquation des procédures ou des structures existantes.Aussi nombre d'auteurs tentent-ils ici de réfléchir, en deçà du principe de précaution, aux conditions actuelles de la gestion des risques.Celle-ci fait intervenir de nombreux acteurs : les décideurs politiques, les scientifiques ou experts, les entreprises, les groupes de pression, ou encore les médias et l'opinion publique.D'où une autre cause de la pluralité des analyses suscitées par cette problématique.Elles nous entraîneront vers des questions d'évaluation complexes incluant des acteurs multiples, des problèmes de légitimité de la décision ou encore de perception des risques.Le principe de précaution modifie les rapport entre décision politique et fondements scientifiques de cette décision, avons-nous dit.La reconnaissance de l'incertitude qu'il inclut constitue dès lors un autre thème majeur de réflexion de cet ouvrage.On le sait pourtant, nombre de décisions politiques du passé et du présent -hors contexte du principe de précaution -n'ont pas été fondées sur des certitudes scientifiques.A l'inverse, un fondement scientifique n'est d'ailleurs pas suffisant pour déterminer une décision politique.Quels changements introduit dès lors le principe de précaution sous ce rapport ?Pour traiter de cette autre question fondamentale, il sera nécessaire de revenir sur les relations entre sciences et politique dans le contexte actuel.Enfin, l'étendue des problèmes abordés ci-après résulte encore de la diversité des matériaux de base utilisés comme sources d'analyse.On retrouve un certain nombre de textes officiels qu'il importe de bien cerner car ils fournissent des références -où chaque mot compte -dans le traitement de ces problématiques selon des régulations politiques et juridiques.Dans le cadre européen, la communication de la Commission européenne à ce sujet (COM (2000)1), par exemple, longuement discutée par les parties prenantes, représente un jalon particulièrement significatif : c'est le premier texte élaboré à ce niveau, dont le contenu est bien plus extensif que les formulations officielles précédentes du principe de précaution.En outre, le cadre juridique existant est essentiel à redessiner.Un autre type de sources, plus diffus et plus ample, est relatif à la documentation de problèmes pour lesquels le recours au principe de précaution a été peu ou prou mis en avant.Certains parmi ceux cités en liminaire reviennent comme exemples ou sujets d'analyses sous la plume de différents auteurs.De la sorte apparaît de façon plus fine tout le relief social, autant que politique et scientifique, qu'un simple examen des textes politiques de référence conduirait à masquer et qui est pourtant constitutif du thème traité.Enfin, c'est aussi dans les cultures disciplinaires des différents auteurs que ceuxci rechercheront de quoi éclairer le principe étudié et les problèmes qu'il porte.Il a été fait volontairement appel à des contributions issues d'horizons divers pour cette mise en perspective.Au départ, la majeure partie de la matière ici exposée a fait l'objet de séminaires organisés à l'Université libre de Bruxelles qui ont réuni de nombreux participants internes et externes au monde académique 2 . A la recherche de lignes directrices européennesLe 2 février 2000, après un travail intense d'élaboration et de consultation, la Commission européenne publiait la communication de la Commission sur le recours au principe de précaution (COM(2000)1) déjà citée.Les prémisses de ce document ont été conçues au sein de la direction générale pour la santé et la protection des consommateurs.Plus précisément, c'est au regard du texte de Henri Belvèze, « Lignes directrices pour l'application du principe de précaution », que les différentes parties intéressées ont réagi et interagi, au cours de l'élaboration de cette communication depuis octobre 1998.Ce texte, plus compact que la communication, n'était pas encore disponible pour un plus large public et nous le reprenons donc dans ce volume.En outre, dans sa contribution, Jim Dratwa précise l'étendue des changements qui y auront été apportés pour parvenir à la communication.Les « lignes directrices » sont centrées sur les enjeux de la consommation.Elles manifestent aussi un souci d'articulation évident avec le système juridique du commerce international de l'Organisation mondiale du commerce.Enfin, elles tentent de définir les différents cas de figures dans lesquels les pouvoirs publics peuvent avoir recours au principe de précaution, ainsi que des lignes directrices non juridiquement contraignantes pour son application.Tous ces éléments formeront une part majeure de la version finale de la communication 4 .Face au potentiel d'imprévisibilité introduit par le principe de précaution, il est possible de voir dans cette production des institutions européennes, une démarche qui maintient autant que possible les cadres scientifiques existants pour l'évaluation et la gestion des risques, en circonscrivant les écarts ou aménagements par rapports à celles-ci dans des limites qu'elle tente de préciser.Ainsi, « la mise en oeuvre du principe de précaution devrait commencer par une évaluation de risque objective identifiant à chaque étape le degré d'incertitude scientifique ».Ensuite, la proportionnalité entre les mesures à prendre et les risques reste soulignée (ce qui est une demande forte des acteurs économiques, voir à ce sujet le texte de Jacques de Gerlache).Enfin, « les mesures basées sur le principe de précaution devraient toujours avoir un caractère provisoire », ce qui est une façon de les circonscrire dans le temps.Cette approche conforte l'analyse d'Olivier Godard, selon laquelle, loin de détacher la décision politique d'analyses scientifiques, le recours au principe de précaution générera un surcroît de recherches scientifiques.L'une des ouvertures introduite par le principe de précaution concerne des risques à long terme, par lesquels Henri Belvèze rattache son propos à des problématiques environnementales.Il note que le souci des générations futures fait déjà partie de la gestion normale des risques et s'efforce de souligner son importance.Celle-ci est mise en évidence en particulier lorsque les risques pouvant affecter les générations futures professionnelle et d'apprentissage sur la base des résultats.Pour éviter que cette réflexion reste théorique et soit handicapée par un manque de dispositifs concrets, Andrew Stirling propose notamment une trentaine de critères de « qualité » : plusieurs recoupent, dans une orientation de gestion des risques, une série de propositions évoquées par d'autres auteurs.Jacques de Gerlache entend aussi se placer dans une perspective de gestion concrète, à partir de son expérience dans une grande entreprise du secteur de la chimie.Il se livre à un plaidoyer proche de celui d'Andrew Stirling en faveur d'évaluations non réductrices, prenant ses distances avec des débats parfois trop polarisés sur certaines dimensions des risques.Il ramène néanmoins l'analyse et la gestion des risques à quatre facteurs, qui devraient être systématiquement considérés.Les deux premiers sont relatifs, d'une part, à la détermination d'un danger et, d'autre part, au degré d'exposition, pour lequel le calcul probabiliste est maintenu.Un troisième facteur tient au degré de sécurité à choisir par rapport aux différents risques.Si l'on se base sur la pratique, celui-ci diffère en fonction des domaines (par exemple, les risques d'accidents automobiles versus la sûreté d'installations industrielles).Enfin, le quatrième facteur porte sur le choix des priorités en matière de gestion des risques.Si pour les deux premiers facteurs énumérés, Jacques de Gerlache considère qu'une approche scientifique, étendue à des phénomènes complexes, est suffisamment pertinente, les deux autres font appel aux décisions politiques.Sachant que ces dernières auront partie fortement liée avec les dimensions juridiques des problèmes traités, il est essentiel de se pencher sur ces dimensions, ce à quoi nous amène la contribution qui suit. Statut juridique du principe de précautionJuriste spécialisé en droit de l'environnement, Nicolas de Sadeleer à consacré un ouvrage aux principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution 6 .Il livre ici une étude systématique et très documentée du statut juridique du principe de précaution dans une série de contextes.Pour ce faire, il commence par examiner la notion de principe, en ayant recours à la théorie du droit.Il s'agit de voir dans quelle mesure un principe se distingue de règles juridiques.Si leurs interprétations peuvent être larges et qu'en outre, les principes et les règles peuvent se trouver en concurrence dans différents cas d'application, la question se pose alors de savoir si le principe de précaution contient une valeur normative autonome.Pour traiter de ce problème, Nicolas de Sadeleer l'examine dans trois types de l'inquiétude, ou à la renvoyer à l'« irrationalité » d'un public défini par la croyance et les préjugés.Car si les preuves scientifiques sont issues de dispositifs (« le laboratoire »), c'est toujours, rappelle l'auteur à travers plusieurs exemples, au prix d'approches simplifiées, « purifiées » de certains éléments.Or, pour déterminer ce que le laboratoire va retenir, nous entrons, poursuit Isabelle Stengers, dans le domaine de négociations qui vont influencer la prise en compte de certains facteurs « gênants », dont le dispositif d'évaluation avait éventuellement fait l'économie.Il ne faut donc pas abstraire les formulations des problèmes des mouvements qui les ont construites, au prix de certaines luttes.L'une des exigences qui découle de cette analyse est celle d'une publication des arguments échangés lors d'une controverse.C'est là en effet une source où peut s'étudier la construction des problèmes faite par ses parties prenantes. Précaution et progrèsLes trois derniers textes de l'ouvrage témoignent à certains égards d'une orientation à la fois commune et complémentaire.Ces réflexions de philosophes de la technique cherchent en effet chacune à leur manière à apercevoir les significations du recours à la précaution dans la situation contemporaine de l'homme par rapport aux siècles passés et voient en elle un changement en regard de l'idée de progrès.A partir de la tradition philosophique, Jean-Yves Goffi s'attache à discerner ce qui est nouveau et ce qui ne l'est pas dans le principe de précaution.L'action en situation d'incertitude, l'objectif d'éviter les pires conséquences, la « prudence » -entre autres -firent l'objet de nombre de discours dans le passé (par exemple, chez Machiavel).En revanche, l'auteur met en lumière le fait que des conceptions plus récentes vont faire du doute et de l'incertitude des aspects indissociables de l'utilisation des techniques.Rompant avec l'optimisme d'une maîtrise atteignable par l'augmentation du recours à celles-ci, l'appel à la précaution prend acte d'une situation où les techniques peuvent amener un surcroît d'incertitudes et de risques.Pour analyser cette situation, Jean-Yves Goffi se livre à des distinctions entre différents types d'incertitude, qui pourraient être mises en rapport avec des distinctions semblables chez Andrew Stirling, bien qu'à partir d'un autre fond théorique.Il en conclut, en phase avec plusieurs autres auteurs (notamment Olivier Godard ou Jean-Noel Missa), que le doute introduit par le principe étudié ne conduit pas à l'abstention mais à « un activisme plus éclairé », en ce sens qu'il implique des interactions plus constantes avec des développement techniques que l'on ne saurait laisser dans une sphère en surplomb par rapport au reste de la société.Pour sa part, Franck Tinland propose un vaste tableau des changements physiques, environnementaux, sociaux, technologiques, qui conduisent à des mutations de notre regard sur la nature et les techniques.Changements d'échelles dans les effets de l'action humaine, aussi bien dans la dimension de l'espace que du temps -où l'on retrouve la perspective de la durabilité -, changements dans la représentation même des connaissances, qui comprennent désormais des incertitudes intrinsèques, fragilité perçue de la vie terrestre et impression d'une autonomisation du développement des techniques en constituent quelques aspects.A partir de ces constats, il n'est pas étonnant, juge l'auteur, que les sociétés, et particulièrement les responsables du développement techno-scientifique, soient proportionnalité des réactions à prendre.D'autres formulations du principe de précaution sont présentées dans différentes contributions de ce volume, certaines remontent aux années quatre-vingt.
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