Artigo Revisado por pares

Ra�s, Bentalha ? Un an apr�s.

1999; Indiana University Press; Volume: 30; Issue: 3 Linguagem: Francês

10.2979/ral.1999.30.3.7

ISSN

1527-2044

Autores

Assia Djebar,

Tópico(s)

Linguistic and Sociocultural Studies

Resumo

Raïs, Bentalha . . . Un an après. Assia Djebar —A Jean Pélégri I Ecrire, ce serait tuer la voix, l’épuiser, lui faire rendre souffle, la dépouiller de son ton, de son accent, de son écho, de son déplacement d’air Ecrire, ce serait la coucher—elle, la voix première—, ce serait l’étrangler, ou la tordre comme linge mouillé sur une corde au soleil, la piétiner sinon, l’ensevelir dans la boue, le pus, la pourriture Ecrire, ce serait l’exposer, la brûler pour atteindre ses os invisibles, ses nerfs arachnéens, son acier étincelant, ce serait . . . Ecrire Ecrire ma voix, celle d’autrefois qui fourmille encore aujourd’hui dans mes orteils, sous mes pieds nus qui, chaque nuit, s’affolent jusqu’à la rive de l’aube Ecrire la voix de chaque fillette, sa voix tapie dans ses cheveux que masque le foulard noir luisant, la voix de la jouvencelle au crâne rasé alors que ses yeux d’épouvante s’élargissent face à vous face à toi qui, si longtemps après, écris. II Ecrire la voix des autres, de la mère orpheline qui clame le deuil infini, de la mendiante qui fredonne dans les ruines, de l’infante qui rit à peine, un seul sanglot, puis rien, la maison vide Ecrire toutes les voix, les sécher, les aplatir, les aphyxier, mais pas les pro-longer, illusion, ni les pérenniser, toutes vos voix sur papier deviennent unique et informe magma, de la boue, hélas, de la boue femelle. Ecrire au coeur du hameau détruit Raïs, Bentalha, ô Mitidja de l’enfance souillée Ecrire pour écraser, pulvériser, piétiner tous vos cris qui ne composent pas symphonie nul choeur, nul Gospel africain, aucun hululement berbère [End Page 7] Les cris d’une seconde bleue tendue jusqu’à l’horizon, et les massacres se suivent là-bas près des vergers d’hier à l’ombre de l’orangeraie, le long des ruisseaux où l’eau chante, Les cris, non, un geignement, goutte à goutte, s’écoule voix d’un enfant, seul survivant. III Ecrire l’après-massacre le silence revenu les morts, libérés de leurs corps, frémissent tout autour dispersés non ensevelis Fosse commune des photographies projetées à travers le monde cadavres en creux noir et blanc Kronos aveugle, voici venu le Temps troué Vieillard ivre qui titube, poing en avant pour maudire Ecrire pour effacer ce dévoilement absolu ce linceul sans rituel sans psalmodie Ecrire pour retrouver eux, les morts, mais avant ou maintenant, quand ils nous parlent car ils nous parlent. Disparus émiettés poussières de cristal, de quartz, de sable se chevauchant les uns les autres caravane d’un délire du retour ils reviennent à nous, ils accourent pour habiter ce désert de notre histoire ils ont soudain pitié de nous Piété manifeste devant nous, les encombrés, Nous rendre l’air respirable malgré ce soleil immobile IV Ils reviennent presque dans la hâte de nous voir les convoquer, les approcher, nous nous, ou moi toute seule dans la solitude loin des caméras de la foule hors de son oeil vorace moi, sans voix, yeux baissés [End Page 8] Le kalam à la main ma plume de l’école coranique quand, fillette, près des orangers, et des ruisseaux dont l’eau chantait j’apprenais à écrire le premier verset le dernier J’apprenais aussi à écrire le français Les morts reviennent en cohorte, sans visage particulier corps mêlés les uns aux autres pour ainsi dire amoureusement des monstres à moi familiers affectueux morts enlacés qui s’avancent la bru portée par la belle-mère jalouse l’époux soupçonneux, yeux crevés le patriarche autoritaire, mains brisées tous, liés, confondus dans un brouillard vert flottant mais chacun sa voix nette distincte préservée chacun, ses mots à lui, son dialecte, sa fureur, sa douceur ils reviennent jusqu’à nous, jusqu’à moi V Je demeure la fillette du village Raïs, Bentalha, un an après moi qui m’entête à transcrire mais pour qui les lieux du royaume profanés Je...

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