Regards sociologiques sur le monde ouvrier
2003; University of Strasbourg; Volume: 30; Issue: 1 Linguagem: Francês
10.3406/revss.2003.2630
ISSN2107-0385
Autores Tópico(s)Philosophical and Theoretical Analysis
ResumoSans remonter dans un passe trop lointain, et pour ne prendre que ces deux exemples, juin 1936 et mai 1968 ont represente des moments forts de l'affirmation collective du groupe ouvrier dans la societe francaise. Or au cours des annees 1980-1990 les ouvriers ont quasiment disparu du paysage public. Leur poids est pourtant reste considerable sur le plan socio-demographique malgre un recul relatif refletant le poids croissant du secteur tertiaire par rapport au secondaire. Cette disparition symbolique au profit de la figure multiforme de l'exclu est l'aspect occulte des annees fric , de la celebration des gagnants ou des odes a l'entreprise. Le travail de Beaud et Pialoux est important d'abord parce qu'il permet de rompre avec ces representations ideologiques largement diffusees en brossant, a partir d'une investigation de terrain de longue haleine, un tableau tentant de rendre compte de l'etat reel du groupe ouvrier tant sur les plans objectif que subjectif, avec ses tensions et ses contradictions. Le titre de leur ouvrage, Retour sur la condition ouvriere, fait implicitement reference a l'ouvrage classique de Simone Weil. La philosophe avait publie La condition ouvriere 2 apres etre entree en decembre 1934, comme manoeuvre sur la machine dans une usine. La demarche et le propos des sociologues ne recouvre cependant que partiellement ceux de la philosophe. Les auteurs ont comme ambition de rendre compte de leurs observations vecues . Ils nous offrent, au terme d'une enquete ethnographique exceptionnelle de plus de dix ans dans la region de Sochaux-Montbeliard, un ensemble fouille et nuance sur le monde ouvrier de ce bassin industriel. L'enquete couvre un territoire qui est a cheval sur trois departements : les activites industrielles sont pour l'essentiel concentrees dans le nord du Doubs, mais le bassin d'emploi deborde largement sur les franges de la Haute-Saone et du territoire de Belfort. Les usines Peugeot ainsi que de nombreux sous-traitants de l'industrie automobile y sont implantes de longue date. L'interet du travail des deux auteurs depasse cependant tres largement le cadre de la mono-graphie regionale, de la sociologie de l'entreprise stricto sensu 4 ou de l'etude du personnel d'une branche d'activite. Les deux auteurs, sociologues a Nantes et a Paris, donnent d'abord a entendre une parole ouvriere en grande partie inedite, la plupart du temps niee, oubliee et absente des medias et plus largement des debats publics. Une parole ouvriere peu entendue aussi des militants de gauche inseres dans d'autres milieux socio-professionnels, la fonction publique, la Poste, la SNCF et l'enseignement en particulier. Aujourd'hui en France, le continent ouvrier constitue un groupe social quasi-invisible, meme s'il reste important numeriquement. En comptant large, il ras-semble toujours environ 10 millions de personnes en y incluant non seulement les actifs, mais aussi les anciens actifs et les actifs potentiels, c'est-a-dire en y incluant les ouvriers au chomage (un bon million de personnes) et les ouvriers a la retraite (2 800 000 environ). Cette disparition symbolique du monde ouvrier s'explique aussi par le fait que des pans entiers du continent ouvrier se sont effondres, notamment dans le textile, les mines, la siderurgie et les chantiers navals. Par ailleurs, le groupe ouvrier est de plus en plus eclate, morcele, destructure. Des differenciations importantes et croissantes traversent le monde ouvrier d'aujourd'hui : les clivages selon le statut de l'emploi, le type de formation et de qualification croisent les variations et les oppositions selon le sexe et la generation, ou entre Francais et immigres . Le monde ouvrier a en effet perdu l'essentiel de son unite passee, meme s'il convient de ne pas oublier que celle-ci etait en grande partie mythique. En meme temps, le monde ouvrier se differencie desormais moins d'autres categories de salaries dont certaines ont vu leur nombre croitre fortement, notamment dans le tertiaire. Les differenciations avec la categorie des employe(e)s se sont largement amenuisees ces dernieres decennies tant du point de vue du niveau des remunerations que des conditions de travail. Le clivage essentiel entre ces deux categories est constitue par le genre : les ouvriers sont a 80 % des hommes et les employes a plus de 75 % des femmes. Cependant si les ouvrieres ne representent que 20 % du groupe ouvrier, elles sont plus nombreuses par exemple que les femmes cadres ou membres des professions intellectuelles superieures. Elles sont en effet au nombre de 1 400 000 au sens strict de la definition du groupe de PCS de l'INSEE. Dans certaines branches elles sont largement majoritaires (industrie textiles, habillement, industries agro-alimentaires). Par ailleurs elles sont majoritaires dans le travail a la chaine. Par contre les travaux centres sur la part feminine du monde ouvrier sont rares. Le livre fondateur deja ancien, malheureusement indisponible, de Daniele Kergoat, Les ouvrieres, reste la reference indispensable pour qui s'interesse a elles. Suivant les lois probabilistes de l'homogamie sociale, les ouvriers et les employees concluent frequemment des unions. Il n'en reste pas moins cependant que la culture ouvriere ne recouvre encore que tres partiellement la culture des employes. Les deux cultures restent largement hermetiques l'une a l'autre, sauf dans les generations les plus jeunes. Cette differenciation entre ouvriers et employes ne s'oppose pas pour autant a une vision plus englobante de la classe ouvriere. Dans l'acception de Marx elle depasse large-ment les contours du seul groupe ouvrier. Certes, elle ne recouvre pas en totalite l'ensemble des categories salariees. Le salariat de direction s'oppose la plupart du temps au salariat d'execution au regard de la plupart des criteres sociologiques envisages quand on etudie la structure sociale (niveau de remuneration, pouvoir, patrimoine, prestige, etc.).
Referência(s)