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Les juristes des années 30 et la question des droits du réalisateur d’oeuvres cinématographiques : une approche juridico-historique, à travers l’exemple de l’« affaire » de La croisière jaune (1931-1934)

2017; Faculté de droit de l'université Laval; Volume: 58; Issue: 1-2 Linguagem: Francês

10.7202/1039836ar

ISSN

1918-8218

Autores

Isabelle Moine-Dupuis, Isabelle Marinone,

Tópico(s)

Cinema and Media Studies

Resumo

La question de la paternité des oeuvres cinématographiques a été souvent débattue au cours des années 30. Elle fournit aujourd’hui encore au juriste et à l’historien de l’art une illustration particulièrement intéressante de la difficulté pour le droit d’appréhender ce qui fait l’essence d’une expression artistique spécifique, comme le cinéma, et en conséquence d’en déterminer les auteurs. Avant la loi de 1957, qui a reconnu la paternité du metteur en scène, la tendance jurisprudentielle était nettement en faveur de la thèse du producteur comme auteur ou coauteur du film. Les raisons à cet état des choses sont diverses, la principale étant la place centrale du producteur dans l’« entreprise » cinématographique (plus visible que ce qui en constitue, à notre avis, le coeur, à savoir le style ou le langage), ainsi que dans les litiges engendrés par l’exploitation des films. Néanmoins, un nombre conséquent d’ouvrages écrits durant la période 1927-1935 montre une réelle curiosité pour ce qu’est l’art cinématographique, et un début d’intérêt pour cet encore méconnu, le metteur en scène. Souvent lié par un contrat d’entreprise au producteur, qui le désigne comme simple exécutant, le metteur en scène doit faire preuve d’une opiniâtreté particulière pour parvenir à se faire reconnaître comme artiste. Cet état de fait, rendant très fragile la situation d’une personne qui n’était même pas toujours mentionnée au générique d’un film lors des débuts du cinéma, a pu avoir de très graves conséquences sur la carrière de certains metteurs en scène. C’est ce que vivra André Sauvage, premier grand documentariste français, ami des surréalistes Man Ray et Robert Desnos, à qui Jean Renoir et les frères Prévert voueront une grande admiration. Datant de 1931, La croisière jaune reste l’une des plus grandes aventures scientifiques, techniques, artistiques et filmiques de cette époque. Le documentaire tiré de cette mission, entièrement conçu par André Sauvage, aurait dû être son chef-d’oeuvre. Toutefois, le sort en a décidé autrement. Le film, à peine terminé, lui a été dérobé et détourné par la société Citroën, à l’origine de l’entreprise. Le constructeur automobile rachète alors le film à la société de production Pathé-Natan qui avait employé Sauvage, et le remet entre les mains d’un autre cinéaste, Léon Poirier. La tragédie de l’artiste commence : le documentariste perd tout son travail ! En effet, sa mise en scène, ses images, son montage se voient mutilés par Poirier dont le remontage, les coupes franches des plans et la bande-son falsificatrice assassinent l’esprit du film. L’oeuvre ethnographique et humaniste de Sauvage devient une simple publicité pour les véhicules Citroën. Écoeuré par la procédure qui n’aboutit pas concernant le plus grand industriel de France, Sauvage se retire définitivement de la profession pour devenir agriculteur.

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