Editorial Acesso aberto Revisado por pares

La spirale en ciment

2018; Elsevier BV; Volume: 40; Issue: 6 Linguagem: Francês

10.1016/j.jogc.2018.04.019

ISSN

2665-9867

Autores

Jeff Nisker,

Tópico(s)

CRISPR and Genetic Engineering

Resumo

Je suis retourné à l'université où j'ai fait toutes mes études alors que la Chambre des communes était sur le point d'adopter la Loi sur la non-discrimination génétique1Parliament of Canada An Act to Prohibit and Prevent Genetic Discrimination.http://www.parl.ca/DocumentViewer/en/42-1/bill/S-201/royal-assentDate: 2017Date accessed: February 19, 2018Google Scholar. Cette loi interdit la discrimination génétique à l'emploi et dans l'assurance, les deux principales raisons pour lesquelles les femmes présentant un risque élevé de cancer du sein ou de l'ovaire associé au gène BRCA ne demandent pas un test de dépistage génétique2Nisker J. Martin D.K. Bluhm R. et al.Theatre as a public engagement tool for health-policy development.Health Policy (New York). 2006; 78: 258-271Crossref PubMed Scopus (49) Google Scholar, avec le manque de connaissances sur le risque génétique et l'accès aux consultations en génétique3Nisker J. A public health education initiative for women with a family history of breast/ovarian cancer: why did it take Angelina Jolie?.J Obstet Gynaecol Can. 2013; 35: 689-694Abstract Full Text Full Text PDF PubMed Scopus (8) Google Scholar, 4Nisker J.A. The need for public education: "surveillance and risk reduction strategies" for women at risk for carrying BRCA gene mutations.J Obstet Gynaecol Can. 2007; 29: 510-511Abstract Full Text PDF PubMed Scopus (7) Google Scholar. Comme à l'accoutumée, j'ai enfilé mes traditionnels souliers de course pour aller jogger sur le campus, chaque fois plus lentement que la précédente. Et je garde toujours pour la fin l'édifice le plus important du complexe, du moins à mes yeux. L'école de médecine était flambant neuve lorsque ma cohorte en a franchi les portes. Le pavillon avait été conçu pour des groupes deux fois plus nombreux que le mien en vue de l'énorme augmentation du nombre de médecins qu'allait nécessiter le vieillissement accéléré de la population, alors imminent. Aucun de mes camarades de classe n'aurait pu prédire que la taille des cohortes allait diminuer de moitié au lieu de doubler en raison de coupes budgétaires provinciales, peu de temps après notre départ. C'est en haletant, un peu comme un Rocky exténué à la fin de son premier entraînement, que j'ai escaladé l'escalier avant pour redécouvrir à son sommet la spirale en ciment qui avait été solidement enracinée devant l'entrée principale durant ma première année d'études. Cette spirale, centre de notre coûteuse éducation, a aussi été au centre de ma première manifestation pour la justice sociale. À l'époque on construisait, en diagonale de notre école et des bâtiments de l'Assemblée législative provinciale, un rutilant gratte-ciel de verre destiné à héberger la société hydroélectrique – de moins en moins – publique de la province. Le lucratif contrat de construction avait été décerné, sans appel d'offres, à l'un des plus importants donateurs de la dernière campagne électorale de notre premier ministre. La semaine précédant ma première manifestation pour la justice sociale, la presse attaquait le duo de toutes parts; le matin même, j'ai appris que notre cher premier ministre à la vertu de justice sociale faiblissante allait officiellement inaugurer, à 14 h, l'édifice dans lequel nous avions le privilège d'apprendre la médecine. L'étudiant idéaliste que j'étais ne pouvait résister à l'idée d'entraver l'ouverture « officielle » de cet édifice à la noble vocation, sous des cieux chargés de neige et de corruption. Du haut du corridor des laboratoires de physiologie, je contemplais, par les fenêtres, la fameuse spirale. Représentant une molécule d'ADN, sa double hélice en ciment évoquait l'avenir prometteur de la génétique auquel le milieu de la médecine aspirait. Toutefois, elles étaient dures à voir ce jour-là, car le monument était couvert d'une bâche de plastique translucide, maintenue fixement en place par un ruban rouge. J'ai supposé que la bâche servait de protection contre la neige, comme il en était tombé beaucoup depuis trois jours, d'où le tapis blanc d'un mètre d'épaisseur couvrant le terrain de soccer en face de la spirale. Tout à coup, le mécanisme de ma manifestation m'est apparu… j'ai donc couru jusqu'à la porte avant de l'amphithéâtre, que j'avais l'habitude d'éviter, pour attraper ma classe avant la pause du dîner. Aussitôt le professeur parti de la salle de 235 places pas même à moitié remplie, je me suis rué devant le groupe toujours endormi pour demander qui voulait empêcher le premier ministre de procéder à l'ouverture officielle de notre école de médecine. En guise de réponse, bon nombre de mes camarades ont sauté les marches en joignant leurs acclamations. Environ 50 d'entre nous avons enfilé nos manteaux d'hiver et traversé avec détermination le terrain de soccer, jusqu'à être le plus loin possible de la spirale. J'y ai façonné deux balles de neige que j'ai tendues à mes camarades, qui, dans la hâte de faire des bonhommes de neige, les ont roulées au sol jusqu'à former des boules de taille convenable mais bientôt trop lourdes pour qu'ils les poussent seuls. D'autres étudiants, venus en renfort, ont fini par devoir monter sur les épaules les uns des autres pour arriver à faire avancer ces sphères gigantesques. Rendus à proximité de la spirale recouverte, nous devions pratiquement tous nous y mettre. Puis nous avons disposé les boules dans une « position anatomique », guidés par des mouvements de bras visibles des fenêtres d'où j'observais la spirale plus tôt. Après le dîner, le cours était encore plus désert qu'à l'habitude, car nous étions presque tous à ces mêmes fenêtres à regarder la scène avec anticipation. Tout juste avant 14 h, quatre hommes en longs manteaux noirs ont encerclé la sculpture. Se sont gratté le crâne. Se sont regardés. Se sont parlé. Puis l'un d'eux s'est pris la tête, consterné, avant de prononcer rapidement quelques mots dans sa main. Quelques minutes plus tard, un gros camion s'est approché, laissant échapper huit hommes armés de pelles. Ceux-ci n'y sont pas allés de main morte avec nos bonhommes de neige, priés d'accélérer par les représentants en manteaux noirs du premier ministre. Mais bien qu'ils aient fait de leur mieux, ils ne sont pas arrivés à grand-chose. Passé 14 h, nous nous sommes tapé dans les mains et serré dans les bras, en lâchant des « Dans les dents! » et « Allez-y, pelletez » adressés au premier ministre. À peu près une demi-heure plus tard, c'était au tour d'un gros tracteur crachant d'énormes nuages de diesel et traînant d'immenses chaînes de faire son entrée. Enchaînée la première, la boule de neige de gauche a été tirée au centre du terrain de soccer, suivie de l'autre. Puis, troquant leurs pelles pour des balais, les huit hommes se sont mis à balayer vigoureusement les marches et autres surfaces avoisinant la spirale, jusqu'à propreté absolue. En l'espace de ce qui ne m'a paru que quelques secondes, une limousine noire est arrivée. Les hommes aux manteaux sombres ont à nouveau parlé dans leurs mains. Après quelques minutes, l'un d'eux a ouvert la porte du véhicule. Le premier ministre en a émergé sous des huées qu'il ne pouvait entendre, vu l'épaisseur et la fermeture permanente des fenêtres derrière lesquelles nous le chahutions. Entouré d'agents de sécurité appréhensifs, il s'est prestement fait photographier, d'abord quand il coupait tout sourire le ruban rouge à l'aide de ciseaux géants, puis avec la spirale dénudée, avant d'être repoussé dans la limousine pour se rendre à son bureau, de l'autre côté de la rue. Trente-sept ans plus tard, je me suis arrêté devant la sculpture découverte. Pour moi, ses spirales représentent maintenant les dérapages du dépistage par ADN effectué chez les embryons et les fœtus ainsi que la discrimination qui en découle. Bien que je salue le Canada de s'être enfin doté d'une loi sur la non-discrimination génétique (2017)1Parliament of Canada An Act to Prohibit and Prevent Genetic Discrimination.http://www.parl.ca/DocumentViewer/en/42-1/bill/S-201/royal-assentDate: 2017Date accessed: February 19, 2018Google Scholar, celle-ci ne prévient pas la forme de discrimination génétique que l'analyse de l'ADN embryonnaire et fœtal renforce, insidieusement, chez la population dont l'affection génétique aurait pu être prévenue par un avortement. Ultimement, cette situation encouragera la discrimination à l'égard de tous les Canadiens ayant des caractéristiques jugées non idéales5Mykitiuk R. Nisker J. Social determinants of "health" of embryos.in: Nisker J. Baylis F. Karpin I. The "healthy" embryo: social, biomedical, legal and philosophical perspectives. Cambridge University Press, New York2010: 116-135Google Scholar, 6Nisker J. Orchids: not necessarily a gospel.in: Murray J. Mappa mundi: mapping culture/mapping the world. University of Windsor Press, Windsor, ON2001: 61-110Google Scholar, 7Cox S.M. Kazubowski-Houston M. Nisker J. Genetics on stage: public engagement in health policy development on preimplantation genetic diagnosis.Soc Sci Med. 2009; 68: 1472-1480Crossref PubMed Scopus (42) Google Scholar, 8Nisker J. From calcedonies to orchids: plays promoting humanity in health policy. Iguana Press, Toronto2012Google Scholar. En outre, l'élargissement rapide du recours au dépistage prénatal non effractif9Vanstone M. King C. de Vrijer B. et al.Non-invasive prenatal testing: ethics and policy considerations.J Obstet Gynaecol Can. 2014; 36: 515-526Abstract Full Text Full Text PDF PubMed Scopus (42) Google Scholar, 10Vanstone M. Yacoub K. Winsor S. et al.What is "NIPT"? Divergent characterizations of non-invasive prenatal testing strategies.AJOB Empir Bioeth. 2015; 6: 54-67Crossref Scopus (10) Google Scholar, 11Vanstone M. Kinsella E.A. Nisker J. Information-sharing to promote informed choice in prenatal screening in the spirit of the SOGC clinical practice guideline: a proposal for an alternative model.J Obstet Gynaecol Can. 2012; 34: 269-275Abstract Full Text PDF PubMed Scopus (26) Google Scholar, 12Murdoch B. Ravitsky V. Ogbogu U. et al.Non-invasive prenatal testing and the unveiling of an impaired translation process.J Obstet Gynaecol Can. 2017; 39: 10-17Abstract Full Text Full Text PDF PubMed Scopus (15) Google Scholar, au-delà des critères énoncés dans l'opinion de comité de la SOGC13Langlois S. Brock J.A. Wilson R.D. et al.Current status in non-invasive prenatal detection of Down syndrome, trisomy 18, and trisomy 13 using cell-free DNA in maternal plasma.J Obstet Gynaecol Can. 2013; 35: 177-181Abstract Full Text PDF PubMed Scopus (96) Google Scholar, 14Nshimyumukiza L. Beaumont J.A. Duplantie J. et al.Cell-free DNA-based non-invasive prenatal screening for common aneuploidies in a Canadian province: a cost-effectiveness analysis.J Obstet Gynaecol Can. 2018; 40: 48-60Abstract Full Text Full Text PDF PubMed Scopus (18) Google Scholar, est survenu sans qu'une recherche approfondie sur les enjeux éthiques ou une consultation de personnes présentant un handicap n'ait été réalisée. La discrimination génétique est aussi favorisée par les nouvelles applications du diagnostic préimplantatoire, telles que le transfert nucléaire germinal (appelé à tort « remplacement mitochondrial »)15Nisker J. The latest thorn by any other name: germ-line nuclear transfer in the name of "mitochondrial replacement.J Obstet Gynaecol Can. 2015; 37: 829-831Abstract Full Text Full Text PDF PubMed Scopus (11) Google Scholar, 16Baylis F. The ethics of creating children with three genetic parents.Reprod Biomed Online. 2013; 26: 531-534Abstract Full Text Full Text PDF PubMed Scopus (97) Google Scholar, 17Lane A. Nisker J. "Mitochondrial replacement" technologies and human germline nuclear modification.J Obstet Gynaecol Can. 2016; 38: 731-736Abstract Full Text Full Text PDF PubMed Scopus (3) Google Scholar, les courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées (CRISPR, pour clustered regularly interspaced short palindromic repeats)18Ran F.A. Hsu P.D. Wright J. et al.Genome engineering using the CRISPR-Cas9 system.Nat Protoc. 2013; 8: 2281-2308Crossref PubMed Scopus (6409) Google Scholar et les stratégies de modification de l'ADN phares, censées « améliorer » la race humaine19White C. Human gene editing and eugenics.http://www.cbc-network.org/2016/03/human-gene-editing-and-eugenics/Date: 2016Date accessed: December 11, 2017Google Scholar. Or l'amélioration de la condition humaine ne passe pas par la manipulation génétique, mais plutôt par les déterminants sociaux de la santé comme l'éducation, l'alimentation, le logement, l'inclusion sociale et la législation, et par un changement dans les mentalités à l'égard des personnes handicapées au pays et dans la façon de s'adapter à eux5Mykitiuk R. Nisker J. Social determinants of "health" of embryos.in: Nisker J. Baylis F. Karpin I. The "healthy" embryo: social, biomedical, legal and philosophical perspectives. Cambridge University Press, New York2010: 116-135Google Scholar, 20World Health Organization Preamble to the Constitution of the World Health Organization as adopted by the International Health Conference.1948Google Scholar, 21Frazee C. Gilmour J. Mykitiuk R. 'Now you see her, now you don't': how law shapes disabled women's experience of exposure, surveillance, and assessment in the clinical encounter.in: Pothier D. Devlin R. Critical disability theory: essays in philosophy, politics, policy and law. University of British Columbia Press, Vancouver2006: 223-247Google Scholar. Au lieu de nous contenter d'applaudir à la loi fédérale contre la discrimination génétique, qui met l'ADN des Canadiens à l'abri des yeux indiscrets des employeurs et assureurs, nous devons plancher sur une loi contre la discrimination plus générale, qui délimiterait le contexte de réalisation et les objectifs du dépistage génétique chez les embryons et les fœtus. Pourquoi? Parce que la variabilité génotypique et phénotypique enrichit l'ensemble de la population. Nous devons nous considérer comme étant « plus que la somme de nos gènes6Nisker J. Orchids: not necessarily a gospel.in: Murray J. Mappa mundi: mapping culture/mapping the world. University of Windsor Press, Windsor, ON2001: 61-110Google Scholar » et reconnaître que notre valeur humaine diminue lorsqu'évaluée par notre seule génétique. Effectivement, en tant qu'employés ou assurés, nous sommes réduits à des catégories : soit nous sommes des personnes qui méritent de naître ou des personnes qui nécessitent des accommodations. Je crois que la prochaine génération d'obstétriciens et de gynécologues canadiens doit lutter pour la justice sociale afin de rendre notre société plus tolérante, accommodante et respectueuse de la différence.

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