Performances du paraître « L'idée d'Europe » (1917)
2018; University of Strasbourg; Linguagem: Francês
ISSN
2107-0385
AutoresGeorg Simmel, Patrick Watier, Karine Stebler,
Tópico(s)Political and Social Issues
ResumoCette guerre est-elle un paroxysme, une de ces fievres qui parcourent parfois les peuples comme une epidemie, a la maniere des flagellants medievaux, et dont ils s'eveillent un jour, harasses et ne comprenant pas comment cette folie a finalement ete possible ? Ou bien cette guerre creuse-t-elle dans la terre europeenne des tranchees profondes et de colossaux labours, pour lui faire developper des valeurs qu'aujourd'hui nous ne pouvons meme pas pressentir ? Ainsi en at -il ete des invasions barbares, qui durent certainement apparaitre aux vieilles nations civilisees comme une destruction insensee, comme une inconcevable violence-alors meme qu'elles mettaient en place les conditions d'une vie productive jusqu'alors impensable, porteuse de valeurs infinies. Notre incapacite d'apporter une reponse theorique a cette question ne soulage certes pas la poussee dont celle-ci nous assaille nuit et jour. Mais elle est un acquiescement pratique a l'injonction de deployer toutes nos forces, afin que devienne realite le sens profond de l'alternative, et non sa face insensee. Cela ne fait bien sur que deplacer sa pression, sans la reduire pour autant, car a present elle charge chacun de nos instants d'une responsabilite formidable, que nous ne connaissions pas en temps de paix. En temps de paix, nos buts et nos devoirs sont immediatement clairs et visibles, et c'est donc d'eux seuls que la plupart d'entre nous se sentent responsables. A l'avenir impenetrable de se prendre en charge de la meme facon ! Mais a present nos devoirs ne se dessinent pas dans des contours nets, ils s'esquissent au contraire dans une perspective indefinissable et de ce fait pour nous sans limites. Assurement, comme d'habitude et plus que d'habitude, tout ce qui importe est la maturite. C'est pour un monde nouveau que nous devons etre murs, un monde que personne peut-etre encore n'a pressenti ; nous savons seulement que nous avons la responsabilite, par chaque acte et chaque pensee, de lui donner sens. 1 Il est certain que la perte et le gain s'opposent dans une equation, ou une inequation, encore insolubles. Mais en depit de toutes les profondes reflexions de la philosophie de l'histoire, qui speculent sur la « necessite » de cette guerre, j'en reste a la conviction que, sans l'aveuglement et la criminelle frivolite d'une toute petite minorite d'hommes en Europe, elle ne se serait pas enflammee. Maintenant qu'elle l'est, nous y avons vecu un deploiement de forces et une exaltation au sacrifice d'une dimension inconnue jusqu'alors. Et voici qu'a ces valeurs s'opposent a nouveau, en Allemagne meme, les habituelles manifestations d'un egoisme cupide. Qui oserait trancher, aujourd'hui que nous payons chacun des gains presents ou futurs par la perte des etres les plus chers, par la destruction suicidaire des valeurs europeennes actuelles, si nos arriere-petits-enfants maudiront ou beniront cette catastrophe ? A nous les vivants, le bilan final de la guerre parait bien incertain, ce pourrait meme n'etre qu'un simple abandon. Et pourtant, nous le savons, nous avons une chose a y perdre, une chose et rien d'autre 1 : c'est la figure spirituelle de l'unite, ce que nous nommions « Europe », qui est fracassee, et nous ne pouvons deviner comment elle s'en relevera. Personne ne peut serieusement croire qu'elle survive, par exemple, a l'exclusion de l'Allemagne et de l'Autriche. Il s'agit d'une perte pure et simple, dis-je ; elle ne saurait en aucun cas representer le prix d'un accroissement de la purete et de la force germaniques, qui resultera a coup sur de la guerre. En contrepartie, nous n'aurons a sacrifier que l'internationalisme-dont le globe-trotterisme est la forme superlativement grotesque-ce micmac, ce va-et-vient d'interets et d'opinions sans frontiere, ni caractere, que l'on peut considerer, au mieux, comme une abstraction de nombreuses nations, dont chacune renonce a sa valeur propre. Cette maniere internationale d'etre et de penser s'est helas imposee comme une fatalite a bien des Allemands, alors qu'il s'agit d'une forme absolument secondaire, d'une ennemie de l'etre national radicalement singulier, constituee uniquement par adjonction ou par elimination. L'Europe par contre est une idee, quelque chose de completement primaire, accessible non par la composition ou l'abstraction-quelque tardive que soit son emergence en tant que puissance historique. Comme elle ne se place pas entre les nations mais au-dela d'elles, elle peut se relier sans difficulte a chaque vie nationale particuliere. Cette « Europe » ideelle est le lieu de valeurs spirituelles que l'homme de culture d'aujourd'hui revere et conquiert lorsque, tout en gardant la possession inalienable de son etre national, il n'est pas 2
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