L'histoire de l'avortement au Canada : la quête des droits génésiques des femmes
2019; Elsevier BV; Volume: 41; Linguagem: Francês
10.1016/j.jogc.2019.09.018
ISSN2665-9867
Autores Tópico(s)Canadian Identity and History
ResumoÀ l’époque de la fondation de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC), l'avortement et la contraception étaient des infractions criminelles au Canada. La disposition du Code criminel sur l'avortement est entrée en vigueur en 1892, mais les poursuites se faisaient rares. La Dre Emily Stowe, première femme à avoir pratiqué la médecine au Canada, a été accusée et jugée pour avoir prescrit un abortif à une femme qui est morte 3 mois plus tard. La Dre Stowe a été acquittée sur le fondement qu'un bon moment s’était écoulé entre la prescription et la mort de la femme1Sabourin J Burnett M A review of therapeutic abortions and related areas of concern in Canada.J Obstet Gynaecol Can. 2012; 34: 532-542Abstract Full Text PDF PubMed Scopus (24) Google Scholar. Les médecins et d'autres praticiens ont continué de pratiquer l'avortement, malgré son interdiction en vertu de la loi fédérale. L'accès à un avortement (relativement) sécuritaire dépendait de la capacité financière de la patiente et de la volonté de quelques médecins à offrir ce service sur le « marché noir ». Pour plusieurs femmes, l'autoavortement et les interventions clandestines risquées étaient les seules options à leur disposition. L'ancien coroner en chef de l'Ontario, Morton Schulman, a exprimé ses inquiétudes par rapport au nombre de morts survenues après un avortement non médicalisé qu'il a relevé dans sa carrière. Il a fait part de son expérience et demandé une enquête publique sur chaque mort relative à un avortement. En 1964, Lottie Leanne Clarke, mère de trois enfants, a succombé à un sepsis à la suite d'un avortement illégal. Après l'enquête sur sa mort, la commission saisie du dossier a recommandé que les lois fédérales qui régissent l'avortement soient libéralisées2Wikipedia. Abortion in Canada. Disponible à https://en.wikipedia.org/wiki/Abortion_in_Canada#Illegal. Consulté le 30 juin, 2019.Google Scholar. En 1967, le Conseil général de l'Association médicale canadienne a réclamé la légalisation de l'avortement sous certaines circonstances3Thomas WD The Badgley report on the abortion law.Can Med Assoc J. 1977; 116: 966Google Scholar. La SOGC s'est faite silencieuse par les voies officielles; publiquement, elle n'a pas appuyé la libéralisation des lois canadiennes, mais elle ne s'y est pas opposée non plus. Le procès-verbal du conseil de la SOCG révèle un débat continu sans consensus clair sur la position officielle que la Société devrait adopter. Le ministre de la Justice, Pierre Elliott Trudeau, a déposé un projet de loi visant à légaliser la contraception, l'homosexualité et certains avortements. Comme il le dit dans sa citation désormais célèbre, « l’État n'a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation ». La Loi modifiant le droit pénal, adoptée en 1969, a permis la pratique de l'avortement dans les hôpitaux à condition que la grossesse représente un danger pour la santé de la femme, conformément à la définition établie par un comité de trois médecins sur l'avortement thérapeutique4Fainman J Penner R They shoot doctors don't they? A memoir. Great Plains Publications, Winnipeg, MB2011Google Scholar. Avec la légalisation de l’« avortement thérapeutique », la SOGC a concentré ses efforts sur le fait de rendre l'information sur la contraception facilement accessible au public, tout en prenant des mesures pour prévenir la mort attribuable à un avortement non médicalisé. Les dispositions de la Loi modifiant le droit pénal ont permis la pratique de l'avortement légal, tout en créant du même coup un nouvel ensemble de barrières à l'accès à l'avortement. Les hôpitaux n’étaient pas tenus d'offrir des services d'interruption de grossesse et plusieurs ne le faisaient pas, en particulier dans les petites collectivités. Bon nombre d'obstétriciens-gynécologues ne pratiquaient pas l'avortement et certains refusaient d'orienter les femmes vers un fournisseur qui offrait ce service. Le processus de candidature et d'examen par le comité de l'avortement thérapeutique dans les hôpitaux était long. Les retards attribuables aux difficultés à cheminer dans le système augmentaient le risque de complications liées à l’âge gestationnel avancé. En 1975, le gouvernement canadien a nommé le Dr Robin Badgley comme président d'un comité chargé de déterminer si le fonctionnement de la loi canadienne sur l'avortement était adéquat. Le comité a relevé d'importantes injustices dans le système, qui découlaient largement de l'exigence d'approbation préalable par un comité hospitalier. Par ailleurs, les hôpitaux qui pratiquaient des avortements se situaient en général dans les grands centres urbains, ce qui contribuait à prolonger encore plus les délais et à renforcer les contraintes financières pour les femmes issues de petites collectivités puisqu'elles devaient se déplacer pour accéder à ces services. Le Rapport Badgley a révélé une réalité troublante, à savoir que les femmes devaient attendre 8 semaines en moyenne entre la première consultation et l'avortement. Le comité a conclu que les services d'avortement n’étaient pas fournis de manière équitable en vertu de la loi en vigueur3Thomas WD The Badgley report on the abortion law.Can Med Assoc J. 1977; 116: 966Google Scholar. En 1976, le Canada est devenu lié par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies. Ce pacte stipule que chaque individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Ce même principe a été intégré à la Charte canadienne des droits et libertés et est devenu plus tard crucial dans la décision de la Cour suprême qui a invalidé la disposition législative régissant l'avortement dans l'affaire R. c. Morgentaler. En dépit de la vaste reconnaissance des injustices de l’époque, le statu quo aurait bien pu persister sans l'intervention percutante du Dr Henry Morgentaler, qui a mis sur pied une clinique d'avortement indépendante à Montréal, au Québec. En défiant ouvertement la loi, il a diffusé une vidéo dans laquelle il pratique un avortement chirurgical; il a aussi affirmé avoir réalisé 5 000 interventions du genre sans autorisation d'un comité de l'avortement thérapeutique. Il a été arrêté, jugé et acquitté. Il est devenu évident qu'aucun jury montréalais ne le condamnerait. Le gouvernement du Québec s'est dit incapable d'appliquer la loi en vigueur, et le Dr Morgentaler a été libéré. En 1983, il décide de défier à nouveau la loi en ouvrant des cliniques d'avortement en Ontario et au Manitoba. Des accusations au criminel ont été portées contre lui dans les deux provinces. Un jury a encore une fois jugé et acquitté le Dr Morgentaler, cette fois-ci à Toronto, en Ontario. La Cour d'appel de l'Ontario a rejeté cette décision et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Cette décision a également été portée en appel devant la Cour suprême du Canada. Les avocats du Dr Morgentaler ont alors déposé une contestation constitutionnelle. Le 28 janvier 1988, la Cour suprême a invalidé l'article 251 du Code criminel dans son intégralité. Le juge en chef du Canada, Brian Dickson, a rédigé les raisons qui sous-tendent la décision majoritaire : Forcer une femme, sous la menace d'une sanction criminelle, à mener le fœtus à terme, à moins qu'elle ne remplisse certains critères indépendants de ses propres priorités et aspirations, est une ingérence profonde à l’égard de son corps et donc une atteinte à la sécurité de sa personne. Dans une dernière tentative de criminaliser à nouveau l'avortement, une nouvelle loi fédérale a été déposée au Parlement en 1990. Le projet de loi C-43 aurait rétabli l'avortement en tant qu'infraction criminelle assortie d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu’à 2 ans pour tout médecin qui pratique un avortement alors que la santé de la femme n’était pas en danger. La Chambre des communes a adopté le projet de loi, qui a été envoyé au Sénat pour qu'on en débatte. La SOGC s'est vigoureusement opposée à cette loi puisqu'elle dissuaderait les médecins de pratiquer ces interventions, ce qui aurait nui à l'accès en temps opportun à l'avortement sécuritaire. Le projet de loi a été défait de justesse par le Sénat et n'est jamais entré en vigueur5Richer K Abortion in Canada: twenty years after R. v. Morgentaler. Library of Parliament. PRB 08-22E. Public Works and Government Services Canada, Ottawa2008http://dsp-psd.pwgsc.gc.ca/collection_2009/bdp-lop/prb/prb0822-e.pdfGoogle Scholar. Certains médecins canadiens ont payé très cher leur choix de permettre aux Canadiennes de se prévaloir de leurs droits génésiques. Le Dr Morgentaler a été attaqué avec des cisailles en 1983, et sa clinique de Toronto a été la cible d'une bombe incendiaire en 1992. Le Dr Garson Romalis, obstétricien-gynécologue de Vancouver, a été atteint par balle en 1994 et poignardé en 2000. Les docteurs Hugh Short d'Ancaster, en Ontario, et Jack Fainman de Winnipeg, au Manitoba, ont été blessés par un tireur embusqué. Le tireur présumé serait James Kopp, plus tard reconnu coupable du meurtre du Dr Barnet Slepian à New York4Fainman J Penner R They shoot doctors don't they? A memoir. Great Plains Publications, Winnipeg, MB2011Google Scholar. La SOGC a joué un rôle actif dans la promotion de la prévention primaire de la grossesse non désirée et la diffusion des connaissances sur la pratique de l'avortement sécuritaire. En 1996, le comité sur les questions sociales et sexuelles a rédigé pour la Société sa première déclaration de principes présentant une orientation fondée sur des données probantes relativement à l'avortement aux premier et deuxième trimestres6Boroditsky R Policy statement: induced abortion guidelines.J Obstet Gyneacol Can. 1996; 18: 901-915Google Scholar. La SOGC a mis à jour et développé ces directives en 20067Davis V Induced abortion guidelines. SOGC clinical practice guideline No. 184.J Obstet Gynaecol Can. 2006; 28: 1014-1027Abstract Full Text PDF Scopus (21) Google Scholar et en 20188Costescu D Guilbert E No. 360-induced abortion: surgical abortion and second trimester medical methods.J Obstet Gynaecol Can. 2018; 40: 750-783Abstract Full Text Full Text PDF PubMed Scopus (26) Google Scholar pour refléter les changements dans la pratique. La Société soutient la position selon laquelle les médecins ne devraient pas être tenus de réaliser un avortement lorsque l'intervention va à l'encontre de leurs croyances. Cependant, la SOGC a adopté la position voulant que tous les professionnels de la santé connaissent les endroits où les femmes peuvent obtenir ces services et doivent être disposés à les orienter rapidement vers les bons spécialistes pour leur permettre de se prévaloir de leurs droits génésiques9Sexual and reproductive health counselling by health care professionalsSOGC clinical practice guideline No. 264.J Obstet Gynaecol Can. 2011; 33 (Reaffirmed November, 2017): 870-871Google Scholar. L'accès équitable à la contraception et à l'avortement est complexe même sans restrictions criminelles. Les politiques de financement provinciales déterminent les endroits où l'avortement est offert ainsi que les méthodes utilisées. La répartition inégale de la population canadienne, les divers systèmes de croyances et la stigmatisation associée à l'avortement perpétuent les inégalités. Les fournisseurs des services d'avortement continuent d’être aux prises avec les menaces de violence et le harcèlement. Ces obstacles nuisent à l'accès universel aux services d'avortement, en particulier pour les populations rurales et marginalisées du Canada1Sabourin J Burnett M A review of therapeutic abortions and related areas of concern in Canada.J Obstet Gynaecol Can. 2012; 34: 532-542Abstract Full Text PDF PubMed Scopus (24) Google Scholar. Avant l'homologation de Mifegymiso (mifépristone et misoprostol) en 2015, les avortements étaient provoqués par l'administration hors indication de méthotrexate et de misoprostol. Le taux d’échec était cependant très élevé. La récente mise en marché de la mifépristone aux fins d'avortement médicamenteux au Canada constitue une avancée importante dans l'accès à l'avortement10Costescu D Guilbert E Bernardin J et al.Medical abortion. SOGC clinical practice guideline No. 332.J Obstet Gynaecol Can. 2016; 38: 366-389Abstract Full Text Full Text PDF PubMed Scopus (47) Google Scholar. Depuis plus de 20 ans, la SOGC fait valoir que l'avortement médicamenteux représente une option sécuritaire et économique qui devrait être facilement accessible aux femmes qui souhaitent une interruption précoce de grossesse11Davis V Medical abortion.J Obstet Gynaecol Can. 1998; 20: 739-747Google Scholar. Grâce à la formation en ligne et au perfectionnement professionnel continu, de plus en plus de fournisseurs à différents endroits ont maintenant la capacité d'offrir des services d'avortement médicamenteux. Depuis 75 ans, la SOGC est particulièrement bien positionnée pour soutenir et favoriser la santé génésique des femmes. La Société soutient activement les droits génésiques en étudiant et diffusant des directives sur l'avortement et la contraception fondées sur des données probantes. La SOGC a été témoin de la décriminalisation de la planification familiale et la quasi-élimination de l'avortement non médicalisé. La réussite à venir se mesurera par notre capacité à fournir un accès équitable aux soins génésiques à toutes les femmes au Canada.
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