Douces déroutes by Yanick Lahens
2019; American Association of Teachers of French; Volume: 92; Issue: 3 Linguagem: Francês
10.1353/tfr.2019.0252
ISSN2329-7131
Autores Tópico(s)French Urban and Social Studies
ResumoReviewed by: Douces déroutes by Yanick Lahens Jason Herbeck Lahens, Yanick. Douces déroutes. Sabine Wespieser, 2018. ISBN 978-2-84805-280-9. Pp. 164. Il est difficile de dire avec précision ce sur quoi s'ouvre le cinquième roman de Lahens. Le premier chapitre nous fait découvrir Cyprien Novilus, jeune stagiaire dans un cabinet d'avocats qui, s'arrêtant en bon citoyen à un feu rouge dans sa modeste Hyundai Tucson, fait l'inventaire des nombreux obstacles réels et abstraits qui l'empêchent de circuler à son aise dans Port-au-Prince. Deux citations placées en exergue au roman servent alors à souligner en premier lieu la problématique de cette perspective individuelle qui, si intime soit-elle, ne saurait toutefois se détacher, voire se libérer, de l'univers grouillant qui l'impressionne. Or, entre les exergues et le chapitre premier s'étale une lettre d'amour de la part du juge Raymond Berthier à sa femme. Apprenant à cette dernière qu'il dispose de preuves compromettantes contre certains individus redoutables qu'il compte poursuivre en justice, Berthier explique aussi son refus de céder aux menaces subséquentes qui ont été faites sur sa personne. Ainsi lorsqu'un ami bien intentionné lui rappelle qu'il a une femme et une fille, et que "[s]a voiture n'était plus très confortable pour les rues défoncées de la capitale" (10), ce juge intègre ne rentre-t-il pas dans les rangs. Au contraire, il laisse à son épouse un message passionné dont l'aspect proleptique ne tarde à se confirmer par son assassinat révélé dans les pages qui suivent. De par son ton et la place ambigüe qu'elle occupe dans le livre, la lettre de Berthier finit par planer sur tout le récit de Lahens. Dans la mesure où elle proclame un amour tout aussi personnel (envers les siens) qu'universel (de la justice), la missive du juge témoigne aussi du revers de la nature humaine, de cette ambition sans bornes ni scrupules qui risque de tout faire basculer dans le vide. Après tout, "Ici, vivre, c'est dompter les chutes" (13). Et tandis que certains, dont la fille du juge (Brune), son oncle et leurs compagnons, s'acharnent à rester sur la bonne voie malgré tout, Lahens nous montre dans Douces déroutes combien il est difficile de s'y tenir, voire facile de s'en détourner. En témoignent Cyprien—petit ami de Brune et ancien étudiant en droit du juge Berthier—et Joubert—alias Jojo Piman piké—dont l'adhésion tacite au pragmatisme selon lequel "rien ne se donne, tout se prend" (132) leur permet de gravir les échelons de la société par des voies opposées mais toutes les deux corrompues. En raison de leurs (basses) manœuvres, celui-ci arrive à troquer sa Suzuki Vitara contre une Kia neuve, et celui-là, devant l'embarras du choix, finit par remplacer sa Hyundai par une Porsche Cayenne et une Range Rover. Alors que [End Page 257] Berthier revendique le besoin humain de "voyages aveugles, sans filets, sans garde-fous, vers la beauté" (11), le récit à la fois lyrique et sobre de Lahens présente une société haïtienne contemporaine dans laquelle les dangers que l'on court ne proviennent pas forcément d'un simple manque d'attention, mais du fait que tout le monde ne respecte pas le même code de la route. Jason Herbeck Boise State University (ID) Copyright © 2019 American Association of Teachers of French
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