Der Bundesrat. Die Schweizer RegierungAdrianVatterBasel, NZZ Libro (2020), 400 p., ISBN 978‐3‐907291‐06‐1
2021; Wiley; Volume: 27; Issue: 1 Linguagem: Francês
10.1111/spsr.12440
ISSN1662-6370
Autores ResumoNous écrivons ces lignes début février 2021. Les États-Unis viennent tout juste de sortir du cauchemar des élections 2020 et de la présidence de Donald Trump ; en Italie, le gouvernement de Giuseppe Conte a fini par démissionner, faute d’une majorité au Sénat ; en Israël, on se prépare à une nouvelle campagne électorale, la quatrième en deux ans ; en Espagne aussi, quatre élections générales ont eu lieu depuis décembre 2015 et le gouvernement actuel demeure minoritaire ; en Belgique, le gouvernement d’Alexander De Croo n’est au pouvoir que depuis trois mois, malgré le fait que les élections aient eu lieu en mai 2019 déjà. Si, dans ces pays et dans beaucoup d’autres que nous renonçons à mentionner, on offrait à la population la perspective d’un gouvernement stable, qui se constitue sans retards quelques semaines après les élections parlementaires ; un gouvernement qui jouit au Parlement d’une majorité solide, voire extra large ; un gouvernement collégial composé des représentant·e·s de la gauche, du centre et de la droite, au sein duquel le risque qu’un·e leader populiste mine les institutions démocratiques est faible voire inexistant, il est plutôt certain que l’intérêt serait important. Les politologues diraient qu’il s’agirait là d’une intéressante « innovation démocratique ». Les politicien·ne·s, quant à eux et elles, seraient plutôt résistant·e·s, en soulignant surtout les risques et les désavantages d’une telle réforme. En Suisse, pourtant, il s’agit d’une « innovation » présente depuis déjà plus de 170 ans. Beaucoup de choses ont changé depuis 1848, certes, mais le Conseil fédéral (CF), avec ses sept membres élus par le Parlement – individuellement, à bulletin secret et au scrutin majoritaire –, est toujours là. Une fois élu·e·s, elles et ils sont intouchables au moins jusqu’à la fin de la législature. Aujourd’hui, aucun autre pays au monde ne connaît un tel gouvernement. Compte tenu de cette exceptionnalité, il peut paraître surprenant que le livre d’Adrian Vatter soit la première monographie sur le CF écrite par un politologue, avec une approche et la méthodologie propres à la science politique. Il s’agit donc d’un véritable événement au sein de la science politique suisse, et on ne peut que souhaiter que le livre soit traduit dans les autres langues nationales, mais aussi dans des langues étrangères, car l’intérêt que cette spécificité suisse suscite en dehors des frontières helvétiques n’est pas à sous-estimer. Il y a trois grands axes qui caractérisent cet ouvrage. Premièrement, sur la base de la littérature secondaire, mais aussi en puisant dans ses propres travaux et dans sa profonde connaissance de la politique comparée, l’auteur offre une vision d’ensemble de l’exécutif fédéral. Tout d’abord (ch. 2), on découvre une discussion bien articulée sur la position que le CF occupe par rapport au Parlement, ce qui permet de situer le cas suisse sur le plan international et notamment de répondre à la question de savoir s’il est plus proche d’un régime parlementaire que présidentiel. La réponse est que c’est un système hybride, mais une réponse définitive ne peut être donnée in abstracto, en analysant simplement ce que la Constitution stipule. En effet, dès 1848, il y a eu plusieurs périodes où le rapport de forces a évolué en faveur de l’une ou l’autre institution, sans oublier l’impact profond de l’introduction du référendum facultatif, en 1874, et de l’initiative populaire, en 1891. Ce pouvoir donné au peuple a eu un effet important sur la composition partisane du CF, notamment sur la création de la « formule magique » en 1959 (ch. 3). Ce premier axe est complété par une présentation de l’organisation et du fonctionnement du CF (ch. 6), avec un accent particulier porté sur le principe de collégialité et sur le rôle du président, de la Chancellerie et de l’administration, ainsi que sur les tâches et les fonctions de l’exécutif (ch. 7). Dans ce premier axe de l’ouvrage, la lectrice intéressée ne va pas forcément trouver de grandes nouveautés, mais plutôt un nouveau regard, frais et original, sur le CF, dans une perspective à la fois historique, institutionnelle et comportementale. Le deuxième axe est représenté par deux chapitres qui, eux aussi, offrent au lecteur des analyses originales et stimulantes. D’un côté, l’auteur déploie une analyse statistique détaillée mettant en évidence les « facteurs de succès » qui font qu’un·e candidat·e a plus ou moins de chances d’être élu·e au CF, mais également à la présidence de la Confédération ainsi qu’à la tête de la Chancellerie fédérale (ch. 4). De l’autre, il détaille en profondeur les profils des membres du CF (ch. 5). A cette fin, Vatter s’est appuyé sur des sources secondaires mais aussi sur une base de données originale, obtenue au travers d’entretiens personnels et de questionnaires envoyés à tous les membres – actuels ou à la retraite – du collège. N’importe quel chercheur ou chercheuse aurait eu de grandes difficultés à obtenir une réponse positive, et c’est donc au mérite de l’auteur d’avoir réussi à obtenir un taux d’acceptation très élevé. La richesse des données collectées a permis de construire une typologie distinguant six profils différents des membres de l’exécutif fédéral : la pragmatique (Eveline Widmer-Schlumpf), la médiatrice (Ruth Dreifuss), le populaire (Jean-Pascal Delamuraz), l’intellectuel (Stefano Franscini), le régent (Pascal Couchepin) et le notable (Johann Schneider-Ammann). Bien évidemment, les frontières entre les différents types ne sont pas rigides et certain·e·s magistrat·e·s peuvent être classé·e·s dans plus d’une catégorie. Il est intéressant de remarquer que l’historien Urs Altermatt, un autre grand connaisseur de la matière qui a publié le très réputé Lexikon des membres du CF, a aussi cédé à une tentation semblable : dans son tout récent livre sur l’histoire de l’exécutif de 1848 à 1875 (Altermatt 2020), il partage en fait les membres du collège en trois catégories : ceux qui travaillaient dans l’esprit d’équipe (Teamplayers), ceux qui, dans les coulisses, étaient les véritables détenteurs du pouvoir (Schattenkönige) et enfin, ceux qui étaient avant tout bien attachés à leur poste (Sesselkleber). Dans le troisième et dernier axe de son livre, Adrian Vatter met en lumière les aspects les plus problématiques du CF, et discute ou propose plusieurs réformes pertinentes (ch. 8 et 9). Sa préférence va à une réforme du mode d’élection, en introduisant notamment une élection en bloc, dont le but serait de renforcer la collégialité de l’exécutif. Pour améliorer la cohérence de l’action gouvernementale, il serait souhaitable d’introduire, comme déjà suggéré par l’ex-conseiller fédéral Arnold Koller, un « contrat de concordance » qui clarifie les priorités politiques pendant la législature. Un département présidentiel – que trois cantons ont introduit durant les années récentes (Bâle-Ville, Vaud et Genève ; mais ce dernier l’a aboli en votation populaire en 2020) – serait censé améliorer les capacités de coordination et de planification du CF. En revanche, l’auteur ne voit pas nécessairement d’un bon œil l’idée d’agrandir le CF, étant donné que son seul bénéfice serait de décharger les membres du collège voire d’améliorer leur visibilité internationale. Le CF peut-il être considéré comme un « modèle » d’exportation ? Adrian Vatter se garde bien de suggérer une telle chose. Bien au contraire, en faisant référence à l’expérience de l’Uruguay – où un collège présidentiel de neuf membres, inspiré du modèle suisse, n’a duré que 15 ans (1952–1967) – il souligne que « dans des contextes différents, les mêmes institutions peuvent amener, dans la pratique, à des développements et à des résultats fort différents » (p. 33). Nous pourrions être davantage optimistes, toutefois, car les institutions possèdent une logique et une force qui leur sont propres, au-delà des contextes spécifiques. En 1848, personne ne pouvait savoir si, par exemple, le système bicaméral à l’américaine était un compromis suffisamment stable aussi bien pour les unitaristes que pour les (con)fédéralistes (Holenstein 2018). En ce qui concerne le CF, les auteurs de la Constitution de 1848 ont finalement eu le courage, dans un moment historique très délicat, de tenter une solution nouvelle et novatrice – même si inspirée du passé (notamment par le Directoire durant la République helvétique 1798–1803) – qui leur paraissait la meilleure pour la Suisse de l’époque. Ils ont d’abord préféré un collège à cinq membres (voici une suggestion qu’il faudrait reprendre !) pour en terminer avec sept. En outre, l’idée d’une élection par le Parlement ne s’est imposée que par une seule voix d’écart par rapport au choix d’une élection du CF par le peuple. Mais nous ne sommes plus en 1848. L’histoire enseigne que sans une situation de crise majeure, où une réforme devient nécessaire et évidente pour presque tout le monde, il est difficile de modifier les fondements du système. En ce qui concerne le CF, grâce au travail effectué par Adrian Vatter nous savons au moins en quoi consiste ce système et quels sont ses avantages et ses défauts. Nous savons aussi quelles réformes seraient souhaitables, même si elles restent peu probables.
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