Au Carrefour De la Negritude(1) et Du Judaisme: Moi, Tituba Sorciere ... Noire De Salem
1999; Columbia University Press; Volume: 90; Issue: 2 Linguagem: Francês
ISSN
2688-5220
Autores Tópico(s)Race, History, and American Society
ResumoMoi, Tituba Sorciere ... Maryse Conde n'est pas, a proprement parler, une interpretation historique du proces des sorcieres de Salem qui secoua la Nouvelle Angleterre en 1692. Au contraire, en preservant la tradition caraibienne de l'ecriture consistant a deconstruire les categories genetiques de l'histoire, de la fiction et des mythes, Conde comble de sa propre imagination de romanciere l'incompletude des donnees historiques. Si bien que son interpolation de l'histoire se lit non seulement comme une narration, mais aussi comme une critique de l'Occident. La destinee de Tituba aux prises avec la traite des Noirs a la Barbade, et plus tard avec l'hysterie puritaine de la Nouvelle Angleterre, demantele, par les critiques sous-jacentes au texte, les ideologies du monde occidental. Qui plus est, le personnage de Tituba incarne, a mon sens, la vision d'un monde autre, une alternative possible a ces ideologies dominantes. Tituba defie les interpretations du monde issues de la chretiente europeenne, et qui constituent la pensee et l'organisation sociale du Nouveau Monde. Ce defi lance a l'Occident s'impose au cours de la narration accordant de nouvelles perspectives a l'histoire officielle, et s'accomplit dans la rencontre insolite de Tituba et du Juif Benjamin Cohen d'Azevedo. Ce personnage, bien que purement fictif, represente a lui seul le judaisme dans le Nouveau Monde. En dehors d'un certain cosmopolitisme ou se joue l'intersection de differentes ethnies, langues et traditions, on peut s'interroger sur cette presence du judaisme dans le texte de Maryse Conde. Peut-on determiner si elle se pose comme un autre courant de l'oppression europeenne, ou si le croisement de la culture afro-caraibienne et de la judaicite(2) sefarade symbolise une alliance potentielle allant a contre-courant de la culture dominante? Nee a la Barbade, Tituba quitte son pays natal pour suivre dans son infortune l'esclave John Indien. Par ce geste d'amour, elle s'offre deliberement a la condition de servitude, et renonce a sa propre liberte. Desormais au service de l'ignoble pasteur Samuel Parris, ils debarquent a Boston dans un climat d'hostilite. Puis, les vicissitudes de la vie entrainent Tituba au village de Salem ou le puritanisme, religion de son maitre Parris, exerce ses pouvoirs devastateurs. Sur cette cote ingrate du nouveau continent ont emigre en grand nombre les puritains d'Angleterre expulses vers 1620 par Jacques Ier Stuart. Avec eux s'exportent alors toutes les hantises de l'Ancien Monde, sequelles des vieilles croyances medievales venues souiller le Nouveau Monde; a savoir la menace de l'Antechrist, fils de la perdition et du peche, dont le regne devrait preceder le deuxieme avenement du Christ.(3) L'austerite qu'affectent ces puritains contamine de sa rigueur morale le village de Salem. L'intransigeance de leurs principes moraux, et leur frenetique terreur des emissaires de Satan declenchent les proces de pretendues sorcieres, dont Tituba. Victime d'accusations mensongeres, elle est arretee pour sorcellerie en 1692. Oubliee dans son cachot, Tituba revoit le jour a l'amnistie. La narratologie historique s'arrete a ce moment precis, mais la nouvelle version de Conde la prolonge. Benjamin Cohen d'Azevedo, commercant juif originaire du Portugal, intervient sur la scene fictive de l'histoire. Par l'ironie du sort, il libere paradoxalement Tituba de son univers carceral en la rachetant; puis finit par l'affranchir de sa captivite. Les rouages du puritanisme representent l'exemple le plus frappant de l'ideologie chretienne fondee sur le dualisme du Bien et du Mal. La crainte d'un monde depossede par le Dieu chretien et vivant sous l'emprise du demoniaque engendre les psychoses les plus saugrenues, que Conde ne manque pas de ridiculiser sans pour autant amoindrir les consequences irreversibles d'une telle aberration. Dans ce climat d'hysterie generale ou sevit a plein fouet l'intolerance meurtriere, la couleur noire de Tituba et la judeite de Benjamin Cohen d'Azevedo ne sont point epargnees; elles incarnent a elles seules le Mal et ses representations les plus imaginaires. …
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