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Mobilisations soignantes par gros temps : quelle prise de risque organisationnelle ?

2022; La Documentation française; Issue: 4 Linguagem: Francês

10.3917/rfas.214.0097

2111-4358

Ivan Sainsaulieu,

Disaster Response and Management

POINT DE VUE] Mobilisations soignantes par gros temps : Quelle prise de risque organisationnelle ?Ivan Sainsaulieu En France, la prise de risque des personnels soignants a été saluée face à la pandémie.La mobilisation soignante n'est pas en effet un état naturel, inhérent à une activité professionnelle, comme ont pu le penser les (rares) personnes qui refusaient de les applaudir au balcon (« ils ne font que leur boulot !»).Se mobiliser contre la pandémie, c'est surtout prendre le risque d'un état de fatigue important.D'ailleurs, à l'hôpital, les infirmières étaient volontaires pour aller travailler dans les « services covidés ».Face à la seconde vague fin 2020, les soignants rencontrés accusaient le coup.A la troisième vague, au printemps 2021, les absences pour maladie ont augmenté, à l'exemple du CHU-Est de la France.Quant au risque de contagion, dans le même établissement, un millier de soignants au total ont contracté le virus, heureusement sans décès qui lui soit imputable.Si l'on y ajoute les conditions de travail ordinaire (le rythme du travail, le manque de lits et de personnels), on peut conclure à la prise de risque globale et supplémentaire d'un personnel hospitalier déjà réputé dur à l'épreuve.Quelle prise de risque organisationnelle, côté hiérarchie ?Alors que les personnels étaient mobilisés dans les services covidés, l'organisation du travail a-t-elle su prendre en compte ce nouvel apport, bousculer un peu la césure hiérarchique et inclure les personnels dans la prise de décision ?A l'hôpital, il arrive qu'une logique collective mette à plat la hiérarchie locale, notamment lors de crises sanitaires, comme face au sida, à la tempête, ou lors d'expéditions lointaines militaro-humanitaires (Sainsaulieu, 2012).Cela arrive aussi au quotidien, dans des services requérant une forte solidarité, comme les soins intensifs ou le bloc opératoire, ou encore du fait d'une organisation participative pour améliorer la qualité des soins, d'un travail mobile de coordination entre services (Sainsaulieu, 2007 ;Castra, Sainsaulieu, 2020).Il arrive, en somme, que des rapports égalitaires se créent dans le travail du fait d'une forte implication collective.Ce genre de mobilisation atypique, égalitaire et consensuelle à la fois, ne doit pas cependant cacher l'autre : la mobilisation contestataire.Le surmenage et la maladie ne favorisent certes pas un surcroît de dépense d'énergie militante, au moment où la mission de service public s'alourdit : la pandémie a donc d'abord éteint des incendies sociaux plutôt qu'elle n'en a rallumés.Des primes ont joué un rôle préventif en reconnaissant l'effort des soignants, au moins symboliquement.Il faut donc revenir en 2019, au mouvement des urgences prépandémique, pour analyser une mobilisation contestataire d'ampleur, de surcroît assez inédite.Comme souvent dans une forte mobilisation, des enjeux égalitaires, là aussi, refont surface, mettant en cause à la fois l'organisation du travail explicite et le rapport social implicite, les deux assignant une place subordonnée aux dominés socialement.Ce sera l'occasion de voir si un autre type d'organisateurs, les experts « ès contestation », autrement dit les responsables syndicaux, se sont montrés à la hauteur de la mobilisation contestataire.Cet article repose donc sur deux acceptions de la mobilisation soignante, consensuelle et contestataire (Sainsaulieu, 2012).Après une période de mise en exergue sociologique du militantisme, grâce à une fécondation mutuelle des relations professionnelles et des mouvements sociaux, il nous semble heuristique de réinvestir davantage la spontanéité (Snow, Moss, 2014 ; Péchu, 2020 ; Sainsaulieu, 2020).Il y a certes une interrelation entre militantisme et spontanéité, comme il faut du ciment et des briques pour faire un mur, mais le ciment a moins retenu l'attention que la brique (militante), dont on a investi carrières, capitaux ou ressources, positions, intéressement au désintéressement, stratégies, convictions, voire désengagement.Il faut pourtant aussi porter attention à l'événement, au surgissement spontané, aux improvisions disruptives ou innovantes, aux relations égalitaires provoquées par ces moments démultiplicateurs d'interactions.Dans cette perspective, nous situons le propos à la croisée de