Tocqueville dans la grande tradition de la philosophie politique
2014; Volume: 35; Issue: 2 Linguagem: Francês
10.1353/toc.2014.0016
ISSN1918-6649
Autores Tópico(s)Rousseau and Enlightenment Thought
ResumoTocqueville dans la grande tradition de la philosophie politique Philippe Raynaud (bio) Monsieur le Président du Conseil général de la Manche Madame la Présidente de l'association "Alexis de Tocqueville", Monsieur le Maire de Cherbourg, Madame le Maire de Tocqueville, Madame le Consul des États-Unis, Cher Jean Claude Casanova, Mesdames et Messieurs, Chers amis, C’est pour moi une grande joie et un grand honneur de recevoir le prix Tocqueville et je suis à vrai dire très intimidé de m’inscrire ainsi dans une lignée de lauréats prestigieux, dont beaucoup ont accompagné toute ma vie intellectuelle et dont certains furent ou sont aussi mes amis. Pour exprimer ma reconnaissance, je voudrais vous soumettre quelques brèves réflexions sur la place que Tocqueville occupe dans la pensée contemporaine, et sur l’importance particulière qu’il a eue pour ma génération intellectuelle. Lorsque j’étais étudiant, Tocqueville était sans doute considéré comme un écrivain politique important mais très peu voyaient en lui ce qu’il est devenu pour nous : un des plus grands penseurs politiques modernes –, qui, tout en étant reconnu comme un des fondateurs de la « sociologie », s’inscrit aussi dans la grande tradition de la philosophie politique et peut être vu comme l’égal de Montesquieu et [End Page 205] de Rousseau. La redécouverte de Tocqueville commence sans doute avec Raymond Aron, qui lui donne une place importante dans ses Etapes de la pensée sociologique et dans l’Essai sur les libertés. Pour Aron, Tocqueville est un de ceux qui, avec Comte et Marx, donne une des grandes interprétations sociologiques de la modernité : la société que Comte voit avant tout comme « industrielle » et que Marx décrit comme « capitaliste » est dominée par Tocqueville par le développement d’une aspiration multiforme à l’égalité. Mais la manière dont Tocqueville comprend la question de l’égalité lui permet aussi de développer une philosophie de la liberté politique qui permet par avance de répondre aux objections de Marx en montrant que les principes « formels » de la liberté et de l’égalité ne sont pas des mensonges ou des illusions mais sont au contraire la source permanente du dynamisme des sociétés libres. Dans le sillage d’Aron, les meilleurs analystes de la société moderne n’ont pas cessé de relire Tocqueville pour mieux comprendre la singularité du monde dans lequel nous vivons, que l’auteur de la Démocratie en Amérique a d’autant mieux saisie que, pour lui, les principes sur lesquels la démocratie moderne s’est construite étaient sans doute « vrais » mais n’étaient pas naturellement donnés. Louis Dumont reconnaît en Tocqueville un de ses inspirateurs, dont la distinction entre les sociétés aristocratiques et les sociétés démocratiques permet de comprendre l’opposition entre Homo hierachicus et homo aequalis qui constitue le grand thème de son œuvre. François Furet publie en 1970 un article fondateur sur « Le système conceptuel de la démocratie en Amérique » qui jouera un rôle central dans les discussions ultérieures sur la démocratie. Un peu plus tard, Raymond Boudon s’attachera à montrer comment la sociologie de Tocqueville peut nous aider à mieux comprendre certains traits durables des sociétés démocratiques et notamment à éclairer la permanence d’un certain anti-libéralisme français. J’ai dit tout à l’heure que l’œuvre de Tocqueville a revêtu une importance particulière pour ma génération intellectuelle. Elle a été notamment un des éléments fédérateurs d’une institution, le Centre de recherches Raymond Aron, fondé par François Furet, qui fut à n’en pas douter un des milieux intellectuels les plus féconds de cette période. Venus d’une gauche radicale mais attachée à la liberté, Claude Lefort et Marcel Gauchet avaient montré dans leurs articles de la revue Libre la fécondité des catégories tocquevilliennes pour l’analyse de la démocratie moderne et on sait ce que les recherches [End Page 206] sociologiques ultérieures sur l’individualisme doivent...
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