L'ichtyologie en France au début du XIXe siècle L'Histoire naturelle des Poissons de CUVIER et VALENCIENNES
1990; Muséum national d'histoire naturelle; Volume: 12; Issue: 1 supplement Linguagem: Francês
10.5962/p.289592
ISSN0181-0626
AutoresMarie-Louise Bauchot, J. Daget, Roland Bauchot,
Tópico(s)Paleontology and Evolutionary Biology
ResumoMon cher confrère, Monsieur votre neveu a la place; le logement est conservé; le traitement n'est pas aussi considérable que je l'aurais désiré mais il sera augmenté graduellement.Je vous embrasse de tout coeur.b. g. é. 1. cte de Lacepède', Le mercredi 6 mai 1812, à 10 heures du soir ». (Monod et al, 1967 : 19) Il ne s'agissait pas de l'emploi d'aide-naturaliste devenu vacant au décès de Jean-Baptiste Valenciennes, mais d'une « petite place », la plus modeste de celles auxquelles pouvait prétendre un jeune débutant sans qualification.Dans une note autobiographique, Achille explique la nature du travail auquel on l'occupait : « On m'y faisait faire des oiseaux plumes à plumes, ce qui consiste à coller des plumes d'une peau d'oiseau rongée par les mites, sur une pelotte en filasse modelée en corps d'oiseaux, triste occupation pour un jeune qui venait de finir de bonnes études !Mais enfin il fallait vivre, non pas moi seul, mais ma mère, et élever quatre soeurs » {ibid : 20).Sa journée finie, Achille accompagné de Lise, l'aînée de ses soeurs, allait se promener dans les allées du jardin des Plantes et faisait faire ses premiers pas à la cadette Élisa-Louise.« Les promeneurs, écrit-il, s'arrêtaient pour nous regarder tous les trois et disaient assez haut : Oh! Voyez donc, quel Jeune ménage!C'était mes Joies de famille » {ibid.: 20).Les professeurs remarquèrent vite l'intelligence du jeune Valenciennes qui travaillait régulièrement dans les galeries et qui ne devait pas tarder à mériter et obtenir le titre d'aidenaturaliste « pour la zoologie ».Lamarck le prit d'abord à son service pour l'aider à ranger ses collections d'invertébrés : en 1814 et 1815 il lui fit rédiger un grand nombre d'étiquettes.Or Lamarek, très ordonné, ne venait à son cabinet que le matin, de sorte que tout en s'acquittant ponctuellement des tâches de rangement qui lui étaient confiées, Achille Valenciennes disposait l'après-midi d'une certaine liberté.Il la mettait à profit pour s'instruire dans toutes les branches de la Zoologie.Toujours dans son autobiographie, il relate les circonstances qui l'amenèrent à collaborer avec le professeur d'anatomie comparée.« Mr Cuvier venait souvent dans nos laboratoires : il m'y voyait occupé à ranger les objets que Lamarek me désignait pour son travail du lendemain.Son abord froid, sévère, me faisait grand'peur.J'étais plus que timide devant lui, au point qu'un Jour J'étais si embarrassé de répondre à une question assez simple qu'il m'avait adressée qu'il me dit avec sa vivacité quelquefois un peu brusque, mais qu'avez-vous donc, monsieur, est-ce que Je vous fais peur?Ces paroles, qui pour lui étaient bienveillantes, ne m'encouragèrent pas beaucoup.Mr Cuvier s'occupait alors de préparer la publication de la édition de son Règne Animal.Il avait déjà fait une revue générale des oiseaux.Il éprouvait une véritable peine à voir le chaos dans lequel était alors l'ornithologie et il avait encore plus d'effroi, plus d'amertume par le désordre des magasins et du laboratoire.Il laissait paraître de temps à autre ses sentiments avec une violence dont il n'était pas maître, et dont les effets retombaient sur les employés et il n'épargnait pas le professeur de Zoologie.Un Jour, des observations un peu vives donnèrent lieu à une véritable scène que Mr Geoffroy porta à l'assemblée.L'incident se termina par ce quelle décida que Je serais chargé d'étiquetter la collection des oiseaux.« Mr Cuvier me fit appeler le lendemain matin, me parla avec bonté, sans impatience, sans 1. Bernard-Germain-Étienne de la Ville-sur-Illon, comte de Lacepède.C'est ainsi que sont signées les lettres et notes que Lacepède écrivait lui-même de son écriture fine et serrée.vivacité, me donna d'excellents et vraiment de paternels conseils ; m'enjoignit d'aller tous les jours prendre les ordres de Mr Geoffroy, lui rendre compte de mon travail.Mais ajouta-t-il, j'irai aussi à la galerie, je vous aiderai de mes conseils.» {ibid.: 21).Geoffroy Saint-Hilaire, blessé par cette décision et plus encore par l'ingérence dans son propre laboratoire d'un collègue avec lequel il ne s'entendait guère, reçut fort mal le jeune Valenciennes.Ce dernier ne sachant plus sous les ordres de qui il devait travailler, alla exposer son embarras à Cuvier, lequel sans perdre de temps en paroles inutiles « tira de sa bibliothèque un carton rempli de planches d'oiseaux rangées avec méthode, et classées comme dans une galerie d'ornithologie ; il me remit ses dessins, poursuit Valenciennes, ses manuscrits, me confia tout avec une générosité qui est toujours restée gravée dans mon coeur, depuis lors attaché à lui par tous les liens de la reconnaissance.Les livres nécessaires à l'étude des premières familles furent portés par ses ordres aux galeries, et me voilà installé.« Depuis lors j'allais tous les jours chez Mr Cuvier, ou il venait à la galerie voir mon travail.J'ai passé ainsi deux hivers rigoureux et trois étés à décrire 3700 espèces d'oiseaux ; apprenant à connaître l'extérieur de ces vertébrés, en étudiant avec Mr Cuvier l'anatomie ostéologique ou viscérale de ces animaux, de manière à en étudier non seulement les caractères extérieurs mais encore leur organisation interne, enfin à les connaître en zoologiste.Mr Cuvier rendait compte à l'assemblée de mon travail, du soin que je mettais à suivre l'ordre établi dans les galeries pour ranger les doubles de nos magasins, à en faire sortir les individus nécessaires aux collections.« Mr Lacepède occupé par de grandes fonctions publiques ne venait presque plus au jardin des plantes.Il n'avait pas d'aide-naturaliste ; Mr Cuvier profita de l'amitié que cet excellent homme avait eu pour mon père, pour mon oncle et qu'il reportait sur moi, en décidant Mr de Lacepède à me prendre pour son aide-naturaliste.Pendant ces travaux Lamarck avait conduit son ouvrage au septième volume; l'âge le frappait de cécité; il fut obligé de cesser d'écrire; son ouvrage fut arrêté.Je me livrai alors tout entier au travail des déterminations, et d'études d'abord des reptiles, puis des poissons, sous la conduite de Mr Cuvier.» {ibid.: 22).Le septième volume des « Animaux sans vertèbres » de Lamarck parut en 1822 et Lacepède mourut en 1825, mais Valenciennes devait rester aide-naturaliste de son successeur A. Duméril jusqu'en 1832.Dès qu'il eût été officiellement affecté au laboratoire de Zoologie des Reptiles et Poissons, et tout en continuant à rassembler et à classer la documentation sur les Oiseaux nécessaire à Cuvier pour la seconde édition de son Règne animal parue en 1829, Valenciennes avait commencé ses recherches en Ichtyologie.En effet, dans le prospectus qui annonçait en 1827 la publication de l'Histoire naturelle des Poissons, Cuvier écrit : « M. Valenciennes n'a pas cessé depuis douze ans de me seconder dans tous mes travaux préparatoires ».Les véritables débuts de leur collaboration en Ichtyologie dateraient donc de 1815.Valenciennes nous explique de son côté : « Mr Cuvier voulait faire sur les Oiseaux un travail analogue à celui que nous avons commencé ensemble sur les poissons.Des difficultés de librairie le firent changer d'idée et il s'arrêta à l'histoire naturelle des poissons dont il a écrit avec moi cinq volumes seulement » {ibid.: 20).Cuvier était anatomiste, de goût et de formation, et c'est incontestablement dans l'étude des Vertébrés fossiles que son génie s'est exprimé avec le plus d'éclat.Or en préparant le Règne animal, il avait constaté que les collections du Muséum renfermaient, notamment parmi les Poissons, nombre de formes qui n'avaient jamais été décrites ou avaient été placées dans des genres et des familles qui ne convenaient pas.Désirant signaler l'existence des espèces nouvelles et tenir compte de ses propres observations d'ordre anatomique, il fut amené à -13introduire dans la première édition de 1816, et plus encore dans la seconde de 1829, un certain nombre de noms nouveaux de genres et d'espèces sans avoir la possibilité d'en donner des diagnoses détaillées.Il avait donc en main tous les éléments pour rédiger une nouvelle « Histoire naturelle des Poissons » destinée à remplacer celle de Lacepède qu'il jugeait à juste titre dépassée et entachée d'inexactitudes, voire d'erreurs.Étant lui-même de plus en plus accaparé par de multiples tâches, il lui fallait pour réaliser ce projet un collaborateur susceptible de s'y consacrer à plein temps.L'homme de la situation se révéla en la personne de Valenciennes.Ce dernier, jusqu'en 1828, travailla modestement sous la direction et dans l'ombre de Cuvier.En 1818, lors d'un voyage en Angleterre, il rencontra les deux frères Humboldt dont le cadet Alexandre devait se montrer son plus fidèle ami et son plus ardent défenseur.Quant à l'aîné, Wilhelm, il jugea « Der kleine M. Valenciennes unbedeutend aber unschàdlich » ^.Il est vrai qu'âgé de 24 ans, Valenciennes n'était qu'un inconnu dont la personnalité n'avait pas encore eu l'occasion de s'affirmer.Cependant Cuvier appréciait son travail ; il se rendait compte que l'élève ne tarderait pas à égaler puis dépasser son maître et qu'il serait un jour capable de poursuivre seul l'oeuvre commencée sous sa direction.Dans le Prospectus de 1827, il reconnaît que surchargé de tâches multiples il n'aurait jamais pu mener â bien la rédaction des premiers volumes de l'Histoire naturelle des Poissons sans l'aide efficace de son jeune « élève et ami ».Le fait d'avoir fait imprimer sur le faux-titre, en caractères de même corps : « par M. le B°" Cuvier... et par M. Valenciennes... » équivalait à reconnaître que son collaborateur était devenu son égal en Ichtyologie.En 1828, Cuvier fait accorder à Valeneiennes un modeste emploi de professeur au collège Rollin et en 1830 un autre de maître de conférence â l'École normale.Ajouté au succès remporté dès leur parution par les premiers volumes de l'Histoire naturelle des Poissons, c'était pour l'aide-naturaliste du Muséum les prémices d'une carrière scientifique des plus honorables.En 1831, Achille Valenciennes épousa Anna Gottis, âgée de 19 ans, dont il connaissait semblet-il de longue date les parents, amis de Lacepède.C'est seulement après la mort du maître que les mérites de l'élève éclatèrent aux yeux de tous et furent officiellement reconnus ; non sans controverses d'ailleurs, car si Cuvier avait eu des admirateurs, Valenciennes eut des détracteurs qui essayèrent par tous les moyens de minimiser ses qualités et de grossir ses défauts pour le ridiculiser.A. de Blainville, professeur au Muséum et titulaire de la chaire de zoologie consacrée aux « Animaux non articulés », qui devait devenir la chaire de Malacologie, brigua et obtint la chaire d'Anatomie comparée.Ce fut donc la sienne qui restait à pourvoir et à laquelle se présenta Valenciennes, en même temps qu'un autre candidat, le Dr. Quoy, spécialiste des Mollusques.L'Assemblée des professeurs proposa Quoy et l'Académie des sciences Valenciennes.Le Ministre trancha en faveur de ce dernier qui fut nommé le 7 octobre 1832.Sans négliger ses nouvelles fonctions de professeur de Malacologie qu'il exerça jusqu'à sa mort, il se consacra surtout à l'histoire naturelle des Poissons qu'il continua seul, sans rien changer à la méthode que lui avait enseignée Cuvier, sans modifier la présentation ni le faux-titre de tous les volumes qu'il fit publier.Dans l'avertissement du IX® volume, daté de décembre 1832, il écrit après avoir rendu hommage à son maître : « Il m'a chargé de terminer l'ouvrage auquel il avait bien voulu m'associer ; les nombreux matériaux que nous avions réunis ensemble sont maintenant à ma disposition.J'exécuterai religieusement les derniers ordres de mon illustre ami, et, si je puis hasarder cette 1. « Le petit M. Valenciennes insignifiant mais sans danger ».
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