Cyberespace et limitations des libertés d’opinion et d’expression en contexte de lutte contre le terrorisme au Burkina Faso
2023; Taylor & Francis; Volume: 57; Issue: 3 Linguagem: Francês
10.1080/00083968.2023.2205156
ISSN1923-3051
Autores Tópico(s)Linguistics and Discourse Analysis
ResumoRÉSUMÉDepuis le 15 janvier 2016, le Burkina Faso est confronté à des attaques terroristes récurrentes. Dans ce contexte, le 21 juin 2019, le pays a adopté une loi portant modification du Code pénal dans laquelle sont définies de nouvelles infractions sur la publication d'informations relatives au terrorisme. Cette loi condamne à une peine allant d'un à cinq ans toute personne qui diffuse des "informations," des "images" ou des "sons" "d'une scène ou d'infraction de nature terroriste" ou qui pourraient compromettre une intervention antiterroriste des Forces de défense et de sécurité. Cet article analyse cette situation en posant la question de savoir si les limitations du droit aux libertés d'opinion et d'expression sur le terrorisme dans le cyberespace des réseaux sociaux sont nécessaires et efficaces dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. Dans cette optique, l'hypothèse que ces limitations pourraient être nécessaires en raison des défis sécuritaires liés à la lutte contre le terrorisme est formulée. En revanche, il est soutenu que la criminalisation comme instrument de régulation dans ce domaine pourrait être inefficace en raison de la nature déterritorialisée du cyberespace et du risque qu'il y a pour l'État burkinabè de verser dans un autoritarisme absolu.ABSTRACTSince 15 January 2016, Burkina Faso has faced recurrent terrorist attacks. In this context, on 21 June 2019, the country adopted a law amending the Penal Code in which are defined new offences on the publication of information related to terrorism. This law punishes, with a sentence ranging from one to five years, any person who disseminates "information," "images" or "sounds" "of a scene or offence of a terrorist nature" or which could compromise an anti-terrorist intervention by the Defence and Security Forces. The article analyses this situation by asking whether limitations on the right to freedom of opinion and expression on terrorism in the cyberspace of social networks are necessary and effective in the context of the fight against terrorism. In this regard, the hypothesis is made that such limitations may be necessary because of the security challenges associated with the fight against terrorism. On the other hand, it is argued that criminalisation as an instrument of regulation in this field might be ineffective due to the deterritorialised nature of cyberspace and the risk that the Burkinabe state might lapse into absolute authoritarianism.MOTS CLÉS: Burkina Fasoterrorismelibertés d'opinion et d'expressioncyberespacecriminalisationKEYWORDS: Burkina Fasoterrorismfreedom of opinion and expressioncyberspacecriminalisation RemerciementsCet article est le résultat de réflexions d'abord présentées en octobre 2019 à la conférence organisée à l'Université de Toronto par Alexie Tcheuyap et Abdoulaye Gueye sur le thème "Média et terrorisme en Afrique : Enjeux, politiques et défis," puis en juin 2020 à la conférence organisée à l'Université de Yaoundé sur le thème "Insurrections Islamistes, Terrorisme et (In)Sécurité en Afrique," financée par les subventions CRSH-connexion dont Melchisedek Chetima est le chercheur principal. L'auteur est également reconnaissant au Centre de Recherche et d'Enseignement sur les Droits de la Personne (CREDP) de l'Université d'Ottawa où l'écriture de cet article a germé et fût conduit à terme. Un merci particulier à Melchisedek Chetima pour nos discussions et ses commentaires pertinents sur le sujet, à Issouf Ouattara et à Salif Kiendrebeogo pour leur relecture de l'article, et aux évaluateurs anonymes pour leurs commentaires avisés.DéclarationAucun conflit d'intérêt potentiel n'a été rapporté par l'auteur.Notes1 Naïm Touré, Publication sur Facebook, 13 juin 2018, reproduit in extenso ci-après : "À toutes les Forces de défense, la gendarmerie surtout : restez là assis seulement bras croisés [soi-disant] c'est la Grande Muette, [soi-disant] vous êtes républicains et [soi-disant] aussi le secret professionnel vous lie. Vous risquez fort de tous trépasser ici dans l'exercice de vos fonctions sans que ces politicards que vous protégez nuit et jour ne lèvent le petit doigt pour vous assister en cas de problème. Voyez vous même : le cas de votre collègue feu [le Marechal des logis] … Yassia (Paix à son Âme) et, celui très récent de Henri Traoré sont assez illustratifs. Aujourd'hui par exemple n'eut été les réactions de certains hommes de presse, activistes et surtout l'opinion, Henri serait toujours dans l'impasse, seul face à son triste sort. Est ce normal? NON! Donc je dis et le répète que le politicien de la majorité actuelle MPP n'a rien rien à foutre de vos putaines de vie. De nos putaines de vie à nous simples civils aussi d'ailleurs. Excusez moi le terme. Alors pendant qu'il est encore temps vous avez intérêt à très souvent vous allier à vos autres frères d'armes ainsi qu'à nous civils pour freiner voire stoper cette hémorragie, cette grande pagaille, ce cirque ko le Pouvoir! TOUS ENSEMBLE RECADRONS CES VAURIENS. À DÉFAUT BOUTONS LES PAPOU-(NIS) (référence au président Rock Marc Christian Kaboré et à son régime) HORS DE NOS VUES. TROP C'EST QUAND MÊME TROP" [sic].2 L'article 312–15 dispose que : "[e]st puni d'une peine d'emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende d'un million à dix millions de franc CFA, quiconque publie ou relaie en direct ou dans un temps voisin, par un moyen de communication, quel qu'en soit le support, des informations, images ou sons de nature à compromettre le déroulement d'une opération ou d'une intervention des Forces de défense et de sécurité en cas de commission d'actes de terrorisme." Voir à ce titre, Assemblée Nationale du Burkina Faso, Loi No 044-2019/AN portant modification de la Loi No 025-2018/AN du 31 mai 2018 portant Code pénal, adoptée le 21 juin 2019.3 L'article 312–16 affirme que : "[e]st puni d'une peine d'emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende d'un million à dix millions de franc CFA, quiconque publie ou relaie sans autorisation, par quelque moyen de communication que ce soit et quel qu'en soit le support, des images ou sons d'une scène d'infraction de nature terroriste." Voir Assemblée Nationale du Burkina Faso, Loi No 044-2019/AN portant modification de la Loi No 025-2018/AN du 31 mai 2018 portant Code pénal, adoptée le 21 juin 2019.4 À titre d'exemples, aux États-Unis, voir Public Law 107–56 du 26 octobre, 2001; au Canada, voir Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch. 41), sanctionnée le 18 décembre 2001; en Grande Bretagne, voir Terrorism Act 2000, sanctionnée le 20 juillet 2020; en Australie, voir Telecommunications (Interception and Access) Amendment (Data Retention) Act 2015 (Cth), sanctionnée le 13 avril 2015; en République française, voir Loi n° 2004–204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité; en Allemagne, voir Anti-Terrorism Act (Terrorismusbekämpfungsgesetz) du 1 janvier 2002.5 Cité par Martineau (Citation2003, à la p. 657).6 L'analyse faite dans cet essai se limite au cadre du régime "démocratique" de l'ex-Président Rock Marc Christian Kaboré. Elle ne porte pas sur les régimes militaires qui ont suivi le coup d'État du 24 janvier 2022. Par ailleurs, il faut noter qu'il y a des controverses sur ce qu'est une "démocratie." Nous considérons ici comme critère de base de la démocratie le fait que le régime soit issu d'élections libres et transparentes. Pour des critiques de cette approche, voir par exemple, Salem (Citation2012).7 Le Burkina Faso a connu des attaques terroristes "mineures" avant le 29 novembre 2015. Voir sur ce point Kibora (Citation2019).8 L'utilisation d'Internet dans le pays est en forte croissance depuis les années 2000. Pour examiner cette croissance sur les vingt dernières années, voir Internet World Stats, https://www.internetworldstats.com/af/bf.htm.9 Il existe une controverse sur la définition de la "cybercommunauté" ou de la "communauté virtuelle." Voir sur ce point Hercheui (Citation2011).10 Les libertés d'opinion et d'expression ont d'abord été consacrées dans l'article 19 de la Déclaration Universelle des droits de l'homme de 1948 qui dispose que : "Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit" (voir Déclaration Universelle des droits de l'homme Citation1948, adoptée le 10 décembre 1948, Rés AG 217 A (III), Doc. O.N.U. A/810 (1948)). Ce droit est aussi reconnu par divers instruments internationaux et régionaux de protection des droits de la personne auxquels fait partie le Burkina Faso dont l'article 19 du Pacte international sur les droits civils et politiques qui dispose que "1. [n]ul ne peut être inquiété pour ses opinions" et que "2. [t]oute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix" (voir Pacte international relatif aux droits civils et politiques Citation1966, adopté le 16 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171 (entrée en vigueur le 23 mars 1976; le Burkina Faso y a adhéré le 4 janvier 1999); l'article 9 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples qui stipule que "1. Toute personne a droit à l'information. 2. Toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements" (voir Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples Citation1986, adoptée le 27 juin 1981, OUA. Doc. CAB/LEG/67/3 Rev. 5 (entrée en vigueur : 21 octobre 1986; le Burkina Faso y a adhéré le 6 juillet 1984).11 Comité des droits de l'homme, 1990. Constatations concernant la communication no 195/1985, Delgado Páez c. Colombie, (A/45/40 (vol. II), annexe IX, sect. D), para 5.5 qui affirme que "[l]es États parties sont tenus de prendre toutes les mesures de protection raisonnables et appropriées, et [que] les garanties prévues par le Pacte seraient entièrement inefficaces si l'on pouvait interpréter l'article 9 comme autorisant un État partie à ignorer les menaces qui pèsent sur la sécurité d'un individu sous prétexte qu'il n'est pas détenu."12 Dans le contexte du Burkina Faso, les spécificités de l'intention criminelle sont présentées à l'article 111–4 de la Loi n°025-2018/AN du 31 mai portant Code pénal qui dispose qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui et en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.13 La Cour suprême a notamment indiqué que "Pour trancher une demande relative à une ordonnance de communication en lien avec un média, il faut procéder à une analyse en quatre étapes : (1) le juge saisi de la demande doit établir s'il y a lieu qu'il exige, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, que le média soit avisé; (2) toutes les conditions légales préalables doivent être réunies; (3) le juge saisi de la demande doit mettre en balance l'intérêt de l'État à enquêter sur les crimes et à poursuivre leurs auteurs, d'une part, et le droit des médias à la confidentialité des renseignements dans la collecte et la diffusion des informations, d'autre part; et (4) si le juge saisi de la demande décide de décerner l'ordonnance en vertu de son pouvoir discrétionnaire, il doit envisager d'assortir celle-ci de conditions pour que le média ne soit pas indûment empêché de publier et de diffuser les informations" (Cour suprême du Canada, R. c. Média Vice Canada Inc., 2018 CSC 53, [Citation2018] 3 R.C.S. 374 à la p. 376).Additional informationNotes on contributorsAboubacar DakuyoAboubacar Dakuyo est professeur à temps partiel à la faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa où il enseigne les droits internationaux de la personne et les procédures de justice pénale et restauratrice. Son domaine de recherche général porte sur les processus de justice transitionnelle dans les contextes de transition politique post-conflictuelle ou post-autoritarienne en Afrique. Titulaire d'un doctorat en droit de l'Université d'Ottawa, sa thèse a porté sur la mise en œuvre d'une approche transformative de la justice transitionnelle au Soudan du Sud. Aboubacar Dakuyo est aussi titulaire d'une maîtrise en droit international (LLM) de l'Université du Québec à Montréal (UQÀM) et d'une maîtrise en art (MA) en études du développement de l'Institut des hautes études internationales et du développement de Genève (IHEID). Il est, par ailleurs, membre du Centre de Recherche et d'Enseignement sur les Droits de la Personne (CREDP) de l'Université d'Ottawa.
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