Collecte des données, protection des sources et production des savoirs sur Boko Haram en contexte de paranoïa sécuritaire au Cameroun
2023; Taylor & Francis; Volume: 57; Issue: 3 Linguagem: Francês
10.1080/00083968.2023.2205157
ISSN1923-3051
Autores Tópico(s)Multiculturalism, Politics, Migration, Gender
ResumoRÉSUMÉLa présente contribution est un retour réflexif sur les modalités de production et de publication des données sensibles au cours d’une recherche ethnographique dans les prisons, les casernes et certaines localités camerounaises touchées par les exactions de Boko Haram et les affres des pratiques contre-insurrectionnelles de l’armée, entre 2014 et 2021. Il y est question des modalités de mise en œuvre d’une éthique située dans un contexte national de vide juridique et institutionnel. Ce travail traite également des contraintes méthodologiques et des dilemmes éthiques rencontrés pendant l’observation directe et les entretiens. La question des outils de recherche et de leur fonctionnalité est également abordée. Enfin, ce travail aborde les problématiques des contre-dons attendus du chercheur, de la protection des participants à l’enquête et de la sécurisation des données sensibles.ABSTRACTThis article is a reflection on the production and publication of sensitive data during ethnographic research in prisons, military barracks and certain Cameroonian localities affected by Boko Haram atrocities and the abuses of the army’s counter-insurgency practices between 2014 and 2021. It discusses the implementation of a localised ethic in a national context of a legal and institutional vacuum. This research also addresses methodological constraints and ethical dilemmas encountered during direct observation and interviews. The question of research tools and their functionality is also addressed. Finally, the article addresses the issues of the counter-donation expected from the researcher, the protection of the research participants and the security of sensitive data.MOTS-CLÉS: Ethnographie; éthique; méthodologie; terrorisme; terrain; Boko HaramKEYWORDS: EthnographyethicsmethodologyterrorismfieldBoko Haram RemerciementsL’auteur voudrait remercier les évaluateurs anonymes de cet article pour leurs remarques et suggestions constructives. Les grandes lignes de cet article ont fait l’objet de discussions au cours des Ateliers lausannois d’ethnographie, édition 2022. L’auteur tient à remercier les organisateurs et les participants, et plus particulièrement Hervé Rayner, pour leurs commentaires. Enfin, que Saïbou Issa, Ami-Jacques Rapin et Melchisedek Chetima trouvent ici l’expression de la reconnaissance de l’auteur pour leurs relectures et avis critiques.DéclarationAucun conflit d'intérêt potentiel n'a été rapporté par les auteurs.Notes1 Le nom officiel de ce mouvement est Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’Awati Wal-Jihad (JAS), qui signifie “groupe sunnite pour la prédication et le djihad.” Mais les États et les médias lui ont donné le nom de “Boko Haram” qui est généralement traduit par “l’éducation occidentale est un péché.” Depuis 2016, ce mouvement djihadiste est divisé en deux groupes : le canal historique, qui a gardé le nom de JAS et l’État islamique-Province d’Afrique de l’Ouest (ISWAP en anglais). Aujourd’hui, le label Boko Haram est un raccourci conceptuel qui cache des réalités extrêmement diverses. Mais pour des raisons pratiques et sauf indication contraire, j’utiliserai le nom Boko Haram pour désigner la mouvance djihadiste dans le bassin du lac Tchad et les dynamiques dérivées.2 Alors que la recherche biomédicale est menée au Cameroun depuis la période coloniale, ce n’est qu’en 1987 que le pays s’est doté d’un comité d’éthique et de recherche. Cette structure placée sous la tutelle du ministère de la santé a été “découverte” par le grand public en 2005, à la faveur du scandale liée à l’essai clinique controversé d’un antirétroviral, le Ténofovir, sur des prostitués à Douala, la capitale économique du pays. Des comités institutionnels d’éthique en sciences biomédicales ont été créés à la suite de ce scandale (Ngnie-Teta et al. Citation2009).3 Il s’agit, entre autres, de : Sumo Tayo Citation2021a; Citation2021b.4 Cette approche s’appuie sur les sphères sociales auxquelles appartient l’individu pour comprendre son comportement. Elle se distingue de celle dite intégrative en ce sens qu’elle complète l’observation par les entretiens par lesquels l’on explore les diverses appartenance sociales de l’individu (Béliard et Eideliman Citation2008).5 Le cas de Claude Linjuom Mbowou, doctorant d’origine camerounaise à l’université Paris 1, est illustratif de la précarité épistémologique qui entoure la recherche sur le sujet Boko Haram. Malgré toutes les précautions administratives qu’il avait prises, Linjuom avait été interpellé et incarcéré pendant quelques jours, en septembre 2015. Il lui était reproché de “détenir des informations compromettantes et Top Secret dans son ordinateur portable et de s’être rendu dans une zone militaire non-sécurisée, sans escorte” (Quotidien Le Jour, n° 2019, du mercredi 9 septembre 2015).6 Le Septentrion-Infos, n° 90 du 5 au 11 mai 2014.7 Appliquée à la recherche sur Boko Haram, cette exigence est difficile à satisfaire, car Boko Haram est réputé être fermé aux journalistes et aux chercheurs. La paranoïa de ses membres et les aléas de l’agir clandestin empêchent les journalistes et les chercheurs de faire des enquêtes dans les espaces sous contrôle des djihadistes.8 Il s’agit d’une forme spécifique de “culture de la débrouillardise” extrême qui légitime, par exemple, le fait qu’un moto-taximan puisse transporter, sans états d'âme, un kamikaze pour la modique somme de 10,000 FCFA (moins de 16 euros), sachant pertinemment ce qui va se passer.9 Infra.10 De nos échanges, il ressort que l’impact de la pandémie sur la recherche varie suivant le terrain et la familiarité du chercheur avec son terroir de recherche. Nos discussions ont également permis de comprendre à quel point la pandémie de la Covid-19 constituait une opportunité pour repenser les méthodes et les objets de recherche, notamment en ce qui concerne la question de l’observation participante.11 https://unctad.org/en/Pages/DTL/STI_and_ICTs/ICT4D-Legislation/eCom-Data-Protection-Laws.aspx, consulté le 30 mai 2020.12 La loi n° 91/023 du 16 décembre 1991 relative aux recensements et enquêtes statistiques.13 https://fr.slideshare.net/bayihabayiha/sumo-tayo-amnesty-international, consulté le 25 mai 2022.14 https://www.amnesty.org/fr/documents/afr17/4260/2016/fr/, consulté le 25 mai 2022.Additional informationNotes on contributorsAimé Raoul Sumo TayoL'auteur est chercheur associé au laboratoire “Observer les Mondes En Recomposition (OMER)” de l’Université de Liège et enseignant invité à l’Université de Maroua. Ses recherches portent principalement sur les frontières, le phénomène guerrier, les stratégies contre-insurrectionnelles et les menaces criminelles contemporaines.
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