(Re)créations du moi dans la littérature francophone du Pacifique contemporain
2023; Volume: 38; Issue: 1 Linguagem: Francês
10.1353/nef.2023.a905917
ISSN2156-9428
Autores Tópico(s)Migration, Identity, and Health
Resumo(Re)créations du moi dans la littérature francophone du Pacifique contemporain Carole Atem (bio) L’année 2023 marque, en Polynésie française, un tournant politique et social dont il appartiendra à l’avenir de préciser la nature exacte, ainsi que la portée et l’impact réels en matière de devenir collectif, de gouvernance publique et d’évolution des modes de pensée individuelle; perçue par certains comme une promesse de renouveau de la vie autochtone contemporaine, l’élection du parti indépendantiste à la tête du Pays1 en mai, après l’obtention de la totalité des sièges de députés à l’Assemblée nationale quelques mois auparavant, signale, pour d’autres, une volonté populaire de revendication identitaire et culturelle aux contours et aux objectifs indistincts. Longtemps contenue par le régime autonomiste, cette revendication pourrait ainsi relever d’un élan communautaire contestataire essentiellement passionnel qui ne traduirait pas, pour autant, l’émergence d’un système politique véritablement inédit, pensé en profondeur dans ses dimensions pragmatique et matérielle, enraciné dans une authentique refonte du modèle socio-économique antérieur. Au désir d’émancipation d’une partie de la population vis-à-vis de la puissance colonisatrice répondrait cette affirmation récente et forte d’une nécessaire métamorphose sociopolitique qui, formulée en termes péremptoires mais dans le fond toujours chancelante et érigée sur un pied d’argile, se réduirait potentiellement à un vœu pieux. On peut supposer, en le voyant affleurer de façon régulière dans les productions littéraires francophones de la Polynésie française du nouveau millénaire, que ce sentiment de revendication, fondé sur la conviction, souvent diffuse, d’une appartenance de l’individu à un ensemble à la fois défini par ses origines ethniques et ses pratiques culturelles—on ne sait pas très bien, en définitive, si c’est le sang, la coutume et/ou la simple démarche identificatoire qui fonde(nt) l’autochtonie—est présent à des degrés variables depuis plusieurs décennies dans un imaginaire social travaillé sensiblement ou silencieusement par des dissensions internes jusqu’alors réprimées. Confusion des repères territoriaux, institutionnels et culturels, éclatement de la sphère du sacré ritualisé sous la pression des modèles religieux allochtones: autant de facteurs induisant la déréliction du moi indigène, opprimé par des forces exogènes qui le submergent [End Page 1] d’autant plus qu’elles le poussent à recomposer par des biais artificiels et des gestes superficiels une identité mā’ohi de circonstance, fantasmée à partir de schèmes culturels rêvés surtout comme des moyens de résistance au paradigme colonial. Nathalie Salmon-Hudry, écrivaine et membre du parti indépendantiste récemment installé dans ses fonctions à la tête du Pays, pose ainsi la question de sa propre place dans la société tahitienne contemporaine, en sondant les tréfonds d’un moi parfois réduit à un corps-prison, dans Je suis née morte, témoignage autobiographique sur sa condition de jeune femme handicapée dans la Polynésie française des années 2000; elle formule en fin d’ouvrage une série d’interrogations aux accents désespérés: “Que suis-je alors? Suis-je ce corps difforme et impotent? Ou suis-je cet esprit aussi vivant que libre? Que suisje?” (143), où la question du déterminisme peut être entendue à plusieurs niveaux et référer éventuellement au sentiment de captivité du moi autochtone moderne, comme le suggèrent certains constats critiques à double entente qui ménagent une articulation entre le privé et le collectif, entre le personnel et le politique: “Regardez, je suis diplômée, motivée et, je crois, pas trop bête, et je n’arrive pas à m’insérer socialement et professionnellement” (148), “Je vais continuer pour que la Polynésie apprenne et se dote de la richesse de la différence pour la future génération” (149). Dans le récit en français Rurutu, mémoires d’avenir d’une île australe, c’est...
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