Les deux Beune par Pierre Michon (review)
2024; American Association of Teachers of French; Volume: 97; Issue: 3 Linguagem: Francês
10.1353/tfr.2024.a919996
ISSN2329-7131
Autores Tópico(s)French Literature and Criticism
ResumoReviewed by: Les deux Beune par Pierre Michon Annie Bandy Michon, Pierre. Les deux Beune. Verdier, 2023. ISBN 978-2-37856-167-3. Pp. 151. Au cœur du Périgord, non loin des grottes des Eyzies, coulent deux rivières, la grande et la petite Beune qui s'accouplent pour former un affluent de la Dordogne. Elles donnent aussi leurs titres aux deux parties qui forment le roman Les deux Beune de Pierre Michon. La première, publiée en 1996, est maintenant prolongée par La Petite Beune, à la fois suite brûlante et apothéose érotique. Le bandeau de couverture de l'édition Verdier ne laisse d'ailleurs rien à l'imagination, montrant la version paléolithique de L'Origine du monde de Courbet. Cette superposition des temps préhistoriques, anciens et présents plonge le roman dans un brouillard temporel troublant, propice au mystère et au désir lancinant, coupant comme le silex. On y croise aussi bien les hommes des cavernes, "les andouillers" (49), les "Jules" (15) d'une époque révolue, les "barbichus" (69) à la belle écriture que les chasseurs, les pêcheurs se réunissant à l'auberge, là où règnent Yvonne et Hélène, la "callipyge et la devineresse" (30). L'arrivée de l'instituteur dans le village n'est pas sans rappeler l'entrée du grand Meaulnes dans la cour de l'école de Ste Agathe, lui qui tombera follement amoureux d'une autre Yvonne, mais sans l'idéalisme d'Alain-Fournier, ici le verbe est cru et le désir sans vergogne. Le premier contact du jeune homme avec Yvonne la buraliste est foudroyant: "son beau visage noyé … , ses narines frémissantes … , le feu que cette vision fit circuler dans mes veines … aurait dû m'arracher un cri" (41). Ce ne sera ensuite pour lui que l'attente frénétique du plaisir "qu'elle dispensait à tous" (20), ses filatures incessantes dans la forêt, au bord de la rivière, ses soliloques exaspérés, "je bouillais" (60). L'auberge est le rendez-vous des habitués comme Jean le pêcheur, braconnier la nuit mais traquant le jour le "grand esturgeon mythique" comme un Arawak ou un Mohican (71) et Jeanjean, vêtu comme un ours de sa canadienne, taiseux mais secrètement comblé des faveurs d'Yvonne. Par deux fois, la rencontre du maître avec une troupe d'enfants masqués, ses élèves, qui partent pour un carnaval breughélien transportant le goupil suspendu par les pattes, lui fait remonter le temps: "J'étais dans un fabliau obscène" (39). Et encore et toujours Yvonne sur son trente-et-un, ouvrant son manteau avec effronterie et offrant sa chair de lait aux hommes affamés en une espèce de strip-tease affolant, brisant tous les tabous (120). Le dernier pas, franchi métaphoriquement de "l'autre côté du pont" (132) sera finalement le point d'orgue de l'irrésistible poursuite, sur la rive de la petite Beune, cette eau dans laquelle, lui, le maître d'école, tente de lire "le texte du monde" (138). Le cérémonial antique de l'accouplement se fera dans les dernières pages, telle la célébration d'un rituel ancestral aiguisé par l'attente interminable: "Nous avions différé avec passion" (148). C'est le mélange baroque d'érotisme flamboyant, de forces telluriques, de symboles archaïques, dans une vallée perdue peuplée de créatures mythiques, poissons, sirènes, loups et renards, qui fait toute l'originalité de ce roman. [End Page 141] Annie Bandy Earlham College (IN) (emerita) Copyright © 2024 American Association of Teachers of French
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