Artigo Acesso aberto Revisado por pares

Livres muets

2024; Edition de la Maison des Sciences de l'Homme Paris Nord; Volume: 28; Linguagem: Francês

10.4000/130v3

ISSN

2101-0714

Autores

Martine Créac’h,

Resumo

Dans l’histoire de l’art, le livre est souvent présenté comme un support d’écriture offert à la lecture. Comment cependant le livre peut-il faire œuvre d’art lorsqu’il est exposé comme un objet muet ? Je voudrais répondre à cette question en examinant l’étrange fortune littéraire et plastique d’une gravure d’Hercules Seghers réalisée entre 1618 et 1622. Au centre de la gravure, trois livres sans titre. Le dos des reliures et les couvertures sont cachés. Une seule page est apparente mais elle est illisible. Désignée sous le titre Les trois livres ou Pile de livres ou encore Nature morte aux livres, cette gravure est donc considérée comme une nature morte, la toute première nature morte de l’art graphique européen. Pourtant, la disposition des trois livres, la façon dont la pile est constituée suggèrent une lecture interrompue. Poète lui aussi, mais également éditeur, Pierre Lecuire (1922-2013) rêvait de réaliser avec Nicolas de Staël un « Tombeau d’Hercules Seghers ». Le projet débouche sur un ouvrage collectif réalisé, à partir de la gravure de Seghers, par des artistes contemporains, peintres et graveurs dans Le Livre des livres I (1974) accompagnés de musiciens dans Le Livre des livres II (1982). Lecuire participe à l’ouvrage en poète ainsi qu’en éditeur, construisant pour ces œuvres une architecture. Ce n’est pas le message des livres qui l’inspire mais bien leurs caractéristiques formelles. Retrouvant les annotations et les dessins de Nicolas de Staël, le poète André du Bouchet (1924-2001) engage une réflexion sur l’action du trait de Staël sur la ligne de Seghers, renversant l’orientation du temps pour faire de l’œuvre de Staël l’origine de celle de Seghers. Dans les pages qu’il consacre lui-même au graveur, les pages muettes deviennent des strates géologiques.

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