Artigo Revisado por pares

C.R. de Gély, R., Rôle, action sociale et sublectivité. Recherches à partir de laphénoménologie de M. Henry

2008; Université catholique de Louvain; Volume: 39; Linguagem: Francês

ISSN

2033-7485

Autores

Nicolas Marquis,

Tópico(s)

Social Sciences and Governance

Resumo

L’ouvrage de Raphael Gely se propose d’etudier la notion de role dans une perspective de phenomenologie radicale, telle qu’initiee par Michel Henry. La conception du role developpee par Gely s’inscrit en faux par rapport a la vulgate qui considere que son endossement par l’individu bride la vie singuliere de celui-ci. Bien au contraire, la these soutenue par l’auteur est qu’une certaine experience des roles est necessaire a l’adhesion des individus a la creativite originaire de la vie. Pour considerer ce point de vue, encore faut-il developper une approche qui ne se cantonne pas a une apprehension purement fonctionnalisante des roles, et ce ni dans la maniere de les comprendre, ni dans la maniere de les vivre. Gely tente de developper une telle perspective, avec un lexique de l’engagement, de la creativite, de l’adhesion, des forces de la vie, des ressources, de l’agir ensemble, de l’affectivite, etc. « Seule une phenomenologie de l’agir vivant peut veritablement rendre compte de l’importance affective du rapport des individus aux choses qu’ils produisent » (p.122). C’est par cette attention accrue portee a l’eprouve et a l’affect que la radicalite de la phenomenologie ici proposee se distingue d’autres philosophies intentionnelles, ou d’autres approches par la conscience. « Leur puissance d’agir, les individus ne la tiennent pourtant pas de la conscience, mais de l’epreuve affective qu’ils font de leur appartenance a la singularite radicale de la vie. » (p.146). Il y a, au depart, une irreductibilite et une radicalite de l’epreuve que chacun fait de sa propre vie, par rapport a laquelle on ne peut prendre distance. Cette epreuve, fondamentalement affective, est celle de la vie et de ses forces. Les roles sont, plus qu’un support a cet eprouve, l’une de ses conditions, et permettent d’actualiser la puissance que la vie a de se vivre. Encore faut-il que la maniere dont l’individu habite son role et la maniere dont les determinations sociales permettent a la subjectivite radicale de chacun d’advenir, autorisent une pratique vivante du role par l’individu, une pratique qui respecte et fasse fructifier « les pouvoirs de la vie » (chap.2). Quel est le statut de cette « vie » ? Les individus partagent un meme pouvoir d’etre un soi vivant, mais l’actualisent differemment. Gely, avec Henry, refuse que l’experience vecue des individus soit subordonnee a une vie superieure, comme c’est le cas dans une approche romantique (p.60). En ce sens, il semble bien plutot que la « vie » puisse etre comprise comme un type de rapport au monde particulier pourvu d’une certaine teneur, d’une certaine coloration, d’une certaine intensite. Car c’est bien de cela qu’il s’agit selon l’auteur : une pratique vivante des roles doit nous permettre d’epaissir notre experience du monde. « Avec Henry, on peut appeler culture ce processus par lequel la vie en chacun de nous cherche a intensifier et par la meme a connecter ses propres pouvoirs. La culture est une action de la vie sur elle-meme, un agir des individus vivants centre sur l’intensification des forces de la vie. » (p.95). L’auteur affine la distinction entre une maniere de vivre les roles qui permet cette intensification, et une maniere qui conduit a la perte de leur sens vivant, et occasionne finalement une diminution de la puissance d’agir des individus. On retrouve la conception henryienne de la barbarie : elle qualifie le fait qu’une energie vitale soit non employee, incapable de s’exprimer dans des activites et des roles hyperfonctionnalises. Sur un versant plus clinique, Gely indique a plusieurs reprises que cette atrophie de la vie, cette desingularisation de nos besoins et eprouves, peuvent se traduire paradoxalement par une hyperactivite boulimique. Comme le disait Henry, « La subjectivite vide de l’Occident est une subjectivite avide : elle ne tient pas en place » (Henry cite par Gely, p.110). Il y a, dans cette perspective de phenomenologie radicale, une dimension evaluative importante, liee a une ontologie particuliere de la creativite originaire et de la maniere dont elle peut s’exprimer, mais aussi de la maniere dont les individus peuvent partager l’epreuve de la vie et developper un vivre-ensemble (chap.5). La these fondamentale, dans les traces de Henry, est que le pouvoir de se vivre s’affaiblit lorsque les individus tentent de s’approprier leurs forces de vie, vivent leurs roles et leurs rapports aux autres comme uniquement fonctionnels. « Il y a par contre une autre forme d’action qui permet aux individus de rejoindre la source meme de l’agir. Un tel agir, loin d’epuiser les forces de vie des individus, les accroit. C’est pour cette raison precisement que la culture comprise comme auto-intensification de la vie est constitutive de toute veritable action collective, de tout agir commun. » (p.193). Cette approche des roles est interessante dans la mesure ou elle permet de depasser l’aporie percue par N. Heinich (1996), pour qui certaines utilisations de la notion de role presupposent un substrat individuel naturel, un individu « vrai » qui pourrait exister sans ce role qui lui est surajoute. Ici, le role est percu comme constitutif de l’experience par l’individu du monde, de l’agir ensemble et de lui-meme : « Si le role peut revetir un signification phenomenologique radicale, s’il peut affecter le sujet en son etre meme, c’est parce que celui-ci ne cesse d’advenir a lui-meme en tout ce qu’il vit, en l’occurrence, ici, en prenant en charge tel ou tel role. » (p.33). La semantique de la radicalite et de la vie peut troubler, l’accent place sur le niveau de l’individu etonner le sociologue. Ces impressions premieres doivent etre depassees, car on percoit vite que ce dont il s’agit de rendre compte dans la perspective de Gely, c’est de l’experience que font les individus. Qui plus est, il s’agit d’en eclairer la dimension irreductiblement affective, l’engagement des individus dans le monde. Outre qu’elle n’evacue nullement les determinations sociales, la position de Gely invite a sociologiser davantage, meme si la perspective est differente : le « je peux » de l’individu n’est pas donne a lui-meme (p.79). Ses forces de vie ne sont nullement de l’ordre du donne (p.201). Enfin, l’auteur insiste sur la dimension sociale de ces forces de vie : c’est en connexion avec autrui que mon experience peut s’intensifier. L’ouvrage de Gely, par le biais de l’etude des roles et de leur pratique vivante ou non, donne a voir un questionnement exigeant sur le champ de l’interessement : ce qui fait que les individus adherent aux forces de la vie, developpent ou non une forme de creativite, connectent ensemble leurs experiences et leurs epreuves. Cette dimension excede celle du sens : « on peut ainsi imaginer deux individus qui se parlent en respectant integralement les conditions d’une communication reussie, mais dont l’interaction est denuee de toute force, de toute envie de vivre ensemble l’acte de parole, l’echange. » 191. La prise en compte de l’affect, de la creativite montre dans quelle direction l’anthropologie d’un certain proceduralisme pourrait etre approfondie.

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